Mark Lawes : Hantés par le passé
Coécrit par Raphaële Thiriet et le metteur en scène Mark Lawes, Lucy Lost Her Heart use du français, de l’anglais et de la multidisciplinarité pour sonder l’inconscient canadien et les défis d’un peuple en devenir.
Coincés au fond d’une mine dont ils cherchent désespérément l’issue, six personnages éclectiques (Pocahontas, Soldat perdu, Flip, Red, Pierre et un grizzly préhistorique) s’interrogent sur l’état du monde et le sens de la vie dans une pièce-installation mêlant théâtre, danse, musique et arts visuels, présentée par la Compagnie des artistes en résidence de Calgary.
"Il y a le corps du narrateur, le corps de l’acteur et le corps poétique, explique la comédienne et dramaturge d’origine française Raphaële Thiriet. On travaille sur ces trois pôles en passant de l’un à l’autre selon ce qu’on raconte. L’histoire émerge de trois semaines d’improvisation à partir de légendes amérindiennes, de textes philosophiques comme La caverne de Platon et d’autres éléments, comme des minéraux, capables d’éveiller l’inconscient des interprètes."
Les deux auteurs ont écrit des partitions sur mesure à partir de ce que ce travail a permis d’exhumer des mémoires. Une perspective archéologique qui marque toute la démarche de Lawes, qui a d’ailleurs restauré le plus vieil édifice de Calgary pour y créer le Theatre Junction Grand. "La notion d’identité est complexe dans l’Ouest du Canada où l’immigration est beaucoup plus récente qu’au Québec, commente le metteur en scène. Par exemple, mon arrière-grand-mère paternelle était française, son mari était anglais et leur fils est né dans un chariot de pionniers. Ici, la colonisation a été très rapide et aussi très violente. Je pense qu’elle a été effacée de l’histoire collective, mais que les inconscients en gardent des traces."
Rien de mieux que de connaître ses origines et son passé pour construire des identités fortes et faire des choix de société éclairés. Et puisque les Français furent les premiers à s’installer en nombre en Alberta, il est logique que les voix résonnent sur scène dans les deux langues officielles. "On me demande souvent pourquoi il y a des sous-titres autant français qu’anglais, alors que tout le monde parle anglais ici, raconte Lawes. Ce choix est politique mais aussi artistique, parce qu’il donne une matérialité particulière au langage: on entend l’anglais autrement quand il est parlé par un francophone qui vient de parler en français. Utiliser ces deux langues est aussi l’occasion d’ouvrir une espèce d’espace entre deux." Un no man’s land où peut fleurir l’espoir de réunir et faire danser nos séculaires solitudes.