Réal Bossé : Bouge de là
Partisans d’un théâtre du corps où l’action rivalise avec le verbe, Réal Bossé et Jean Asselin proposent de faire table rase de nos bons sentiments pour se réengager vraiment avec Jabbarnack!, plaidoyer contre une indignation convenue.
Comme un sacre pour envoyer paître les bien-pensants de ce monde, hypocrites apôtres du bien, défendant le pauvre et l’orphelin, mais inertes quand vient le temps de passer à l’action, Jabbarnack! vilipende les contradictions et lâchetés de l’humain conformiste d’aujourd’hui. "La morale a ses modes, explique Bossé, et après s’être agenouillés devant le curé, on se met à genoux devant autre chose et moi je dis: ne soyons pas à genoux! Je voulais faire un spectacle sur les méchancetés de l’humain qui se bat tout le temps avec ses propres contradictions. On est accommodants avec nous-mêmes mais intolérants avec les autres. On achète la paix en chialant, mais quand c’est le temps d’agir, on ferme notre gueule et on ne bouge pas."
Quand Jean Asselin lui a proposé de mettre en commun son idée du Jabbarnack!, une sorte de purge de la rectitude morale, Bossé a sauté dans l’arène d’Omnibus, codirigeant sept interprètes rompus au mime. En référence au Jabberwocky de Lewis Caroll, célèbre poème qui raconte le combat d’un enfant contre l’hydre à qui il coupe la tête pour libérer la Cité de ses maux, le spectacle propose de sabrer la tête du monstre qui nous dévore. "On veut faire table rase de tout ce qui nous énerve. On fesse dans la vertu comme dans le vice! Ceux qui recyclent à outrance sont aussi énervants que ceux qui se promènent en Hummer. On n’est ni pour l’un ni pour l’autre. Moi je suis pour la responsabilité civile et personnelle. Je dis que le monstre, ce n’est pas la multinationale, mais l’humain et sa désimplication, dépossédé de sa vie parce que des gens décident tout le temps pour lui. Tu te demandes pourquoi ça chie, mais c’est de ta faute! Arrête de dire que c’est Harper! Pour voir clair dans ta soupe, il faut rester logique."
En guerre contre l’immobilisme qui désavoue le discours engagé, Jabbarnack! veut remettre en branle nos corps passifs autour de l’histoire d’une famille qui ne donne pas de réponse toute cuite dans le bec, mais implique le spectateur. Sans texte préalable, les "metteurs en oeuvre" ont créé en même temps le texte, l’histoire, le mouvement et la disposition scénique en collaboration avec les acteurs. "On tire des lignes dans l’avenir, explique Bossé. On cherche la représentation corporelle des mots sur scène, et comme on l’exige de nous-mêmes, on demande aux corps de s’impliquer." Parce qu’il pense que l’engagement politique passe aussi par un engagement physique, Bossé fait confiance à la communication implicite du corps pour lancer au public un appel à l’action de l’intérieur. "On va brasser l’âme, le corps et l’esprit, nous tasser de notre chaise, ce que devrait faire un vrai show de théâtre, selon moi."