David Bobee : Le brasier de la torpeur
Le metteur en scène français David Bobee présente Cannibales, une création pluridisciplinaire sur la paralysie et l’autodestruction de notre société.
Ouverture sur un couple qui s’immole. Cristallisation de l’amour romantique scellé par le suicide et appel à une liberté consumée par les flammes. Cannibales saisit la défaite de deux individus et celle d’un monde qui les dévore. "C’est un spectacle sur l’endormissement, explique Bobee, joint au téléphone. Je cherche à comprendre l’époque d’aujourd’hui par le prisme de l’intime qui révèle, selon moi, l’état du monde. Un couple qui s’immole est un message en soi, un révélateur. Alors qu’a priori, ils avaient tout pour être heureux selon la vision du bonheur qu’on nous vend, les personnages glissent de la quête de l’être vers une compensation par le petit avoir qui ne suffit plus à leur épanouissement."
De la catastrophe de départ, ce troisième volet d’une trilogie sur le rapport de l’intime et du politique chez les 25-30 ans remonte en flashbacks jusqu’à l’enfance heureuse de ces Roméo et Juliette contemporains. "Leur champ de désir va se rétrécir. Cannibales critique le concept de neutralité, la torpeur et le blanchiment. C’est un appel à la vie." Métaphore de la différence, le titre évoque le célèbre essai de Montaigne, mais fait aussi état lamentable de notre monde actuel. "L’autocannibalisme est le problème de notre société de consommation. Nos façons de vivre sont en train de nous bouffer. Tout s’écroule."
Avec sa Compagnie Rictus fondée en 1999, Bobee conçoit le théâtre comme un engagement physique et politique où chaque collaborateur est l’auteur du spectacle au même titre que celui qui écrit. "Pour moi, l’auteur n’est pas un Dieu qui transmet un texte sacré selon une hiérarchie verticale. Je travaille collectivement avec des gens multiples aux identités fragmentées et chacun est considéré également." Poursuivant sa collaboration avec l’auteur Ronan Chéneau qui pratique une "écriture de plateau" où les textes "jetés" sur scène sont coupés, piétinés et montés comme des séquences d’images au cinéma, Bobee défend le métissage des genres du théâtre, du chant, de la danse et des nouvelles technologies, auquel se greffe ici le cirque. "Notre monde est fragmentaire. Il y a une porosité entre les choses. Les idéologies de nos parents ont explosé en plein vol et on doit retrouver un objet de sens, même s’il est hybride."
OEuvre de contestation contre toute idée de cloisonnement, Cannibales traduit la menace d’un monde qui dévore l’individualité. "La réalité a énormément changé depuis sa création en 2007. On est passé à un état de réveil positif. Il y a eu le printemps arabe, Occupy. En France, Sarkozy nous a radicalisés. D’un coup, un ennemi a refait surface et nous a donné un combat à mener. L’idéologie dominante veut nous plonger dans la torpeur et les jeunes se révoltent." Vos Cannibales ne nous sont pas étrangers, M. Bobee.