Gros-Câlin : Défaut d’humanité
Fable poétique sur la déshumanisation, l’adaptation de Gros-Câlin signée Pascal Contamine séduit par sa fantaisie et sa candeur.
Attachant et mystérieux, Michel Cousin incarne le héros typique d’Émile Ajar (alias Romain Gary): un être marginal et sensible qui se réfugie dans ses rêves et son imaginaire pour mieux contrer la laideur et le conformisme du monde qui l’entoure. Avec un petit décalage sur la réalité (poétique ou schizophrénique?), ce statisticien en "famine affective" cherche désespérément l’amour de ses semblables, mais échoue dans les bras d’un python qui lui offre une étreinte naturelle, plus humaine que celle du citadin, pourrait-on croire.
Le sympathique solo écrit, mis en scène et interprété par Contamine exprime la détresse de l’individu aliéné par la grande ville à travers la misérable condition d’un mésadapté social. L’idée de transformer le récit de ce solitaire en une "conférence sur la vie des pythons dans les centres urbains" est amusante, accompagnée de projections bricolées de dessins naïfs qui traduisent tout à fait l’esprit enfantin de l’auteur, mais l’attention s’égare un peu dans le texte touffu qui imite la forme serpentine de l’animal concerné en accumulant les digressions. La langue riche et vivante de l’écrivain français trouve toutefois son charme incarnée dans le petit théâtre de Contamine qui livre des images poétiques tantôt drôles, tantôt tristes, selon cet étrange balancier qu’exercent les mots de l’auteur, en équilibre entre le poids du monde et la fantaisie de l’enfance. Le jeu de Contamine est expressif et investi, mais tombe dans l’approximation à force d’un naturel désinvolte qui en vient à confondre l’acteur avec les personnages, pas toujours faciles à distinguer. La densité du langage décalé d’Ajar, qui commande la lenteur pour dévoiler toute son amère beauté, se perd parfois dans un défilé de mots un peu rapide, mais le spectacle demeure, jusqu’à la surprenante finale, une fort jolie leçon humaniste.
e-croisement
Trouver sans cesse un sens à l’existence sans se lasser de s’enlacer, voilà comment Pascal contamine la scène et la salle. À la manière de Kafka, le public se métamorphose en Gros-Câlin, sans que notre Cousin illusionniste n’ait eu à chercher un python dans l’enchevêtrement de nos refoulements mystérieux. L’interpénétration est réussie dans cette quête d’amour si chère à Romain Gary qui n’est pas sans rappeler la quête de Momo dans La vie devant soi. Quitte à s’inventer un univers réconfortant, parfois cocasse, pour nier sa solitude et l’indifférence d’autrui, car « … on ne peut vivre sans quelqu’un à aimer. » Voilà à quoi jongle notre statisticien parisien énamouré, cet « homme avec personne dedans ». Plutôt particulier. Tout se joue de l’intérieur. C’est l’avalé de l’avaleur. De quoi redoubler les nœuds au grand dam du Père Joseph, de Mademoiselle Dreyfus, des putes et de Monsieur Tsourès. Rousseau est-il allé aussi loin dans ses Confessions?
Pascal Contamine est royal, fabuleux et attendrissant à souhait, inspiré d’une délicatesse troublante et timide comme s’il redoutait notre incrédulité dans cette tristesse sublimée.
À s’enrouler par terre, affectueusement.