Annie Ranger : Le temps de la colère
Scène

Annie Ranger : Le temps de la colère

Le monde imaginé par Annie Ranger dans L’effet du temps sur Matèvina ressemble beaucoup à la réalité. Une société enragée qui descend dans la rue.

Se défendant d’être opportuniste, l’auteure et codirectrice du Théâtre I.N.K. admet qu’il y a actuellement un momentum dans le théâtre québécois qui s’interroge beaucoup sur l’engagement et carbure à la révolte, rejoignant les actions citoyennes et étudiantes. L’effet du temps sur Matèvina a beau avoir été écrit il y a quatre ans, son sujet offre un miroir à l’actualité. "C’est une gang de jeunes révolutionnaires inquiets parce qu’il y a un G20 dans leur petit pays et qui organisent des manifestations dans la rue. On est dans un squat de jeunes qui se battent contre quelque chose de beaucoup trop grand. La gauche est écartelée aujourd’hui, et on fait face à un monstre."

Plutôt que d’ancrer sa pièce dans un lieu réel, Annie Ranger a écrit une dystopie, un monde imaginaire du pire où le pouvoir emploie des actions totalitaires, pourtant pas si loin de la réalité. "Je regarde le gouvernement Harper, et certains jours, je me crois dans une dystopie, avance l’auteure qui signe sa première mise en scène. C’est un monde parallèle au nôtre, mais comme le Québec, Matèvina mise sur une industrie pour faire partie de l’économie mondiale. Le Plan Nord et les mines ne sont pas loin."

À l’époque où Ranger se met à écrire cette pièce, elle s’inquiète du peu de mobilisation sociale chez les jeunes et met à l’épreuve sa patience en s’impliquant dans un projet collectif utopique, celui de bâtir un théâtre. Depuis, les jeunes se sont réveillés et le Théâtre Aux Écuries est né. "Souvent, on abandonne des projets parce que c’est trop long. Mes personnages sont des jeunes révoltés romantiques de 20 ans, prêts à changer le monde, mais qui seront désillusionnés parce qu’on s’épuise à défendre des idéaux sans arriver à changer les choses."

S’interrogeant sur l’usure de la révolte, la création du Théâtre I.N.K., destinée à un public à mi-chemin entre l’adolescence et le monde adulte, cherche à comprendre la période féconde de la révolution, l’âge grisant et idéaliste où la manifestation est aussi une sorte de fête. "On se moque de l’arrogance des jeunes qui veulent changer le monde. C’est beau, mais aussi prétentieux. Est-ce que ça va se maintenir? Est-ce que l’effet du temps va les user?" se demande l’auteure, renvoyant la question aux jeunes manifestants qui ont toute son admiration. Le théâtre est bel et bien entré au coeur de la cité.