Claude Maher : L’art du fond des mines
Les peintres du charbon, mis en scène par Claude Maher, raconte le coup de foudre de mineurs anglais pour la peinture. Une leçon exemplaire sur la démocratie de l’art.
Après Billy Elliot, une pièce de théâtre qui racontait le parcours d’un garçon issu des milieux ouvriers anglais devenu danseur de ballet, le dramaturge britannique Lee Hall s’est penché sur le destin atypique de 22 mineurs du nord de l’Angleterre changés en peintres. Rien ne laissait présager que ces travailleurs initiés à l’histoire de l’art par une association éducative formeraient un groupe de peintres confirmés. L’Ashington Group, auquel William Feaver a consacré un livre (The Pitmen Painters), a bel et bien existé et inspiré au dramaturge une pièce qui a conquis Londres et Broadway. "C’est la première fois qu’un groupe de travailleurs exerce autant d’influence ou, à tout le moins, produit autant de tableaux qui racontent leur vie, leur village, leur métier, explique le metteur en scène Claude Maher. Lee Hall cherche à vérifier si l’appartenance à une classe sociale nous empêche d’aller vers la création et si la création est un phénomène individuel ou sociologiquement porté par un groupe."
De 1934 à 1948, la pièce suit l’évolution de ces hommes à qui s’ouvre un monde de possibles grâce à la peinture, qui leur sert d’échappatoire, mais aussi de mode d’observation d’eux-mêmes. Ode à l’art, non pas comme discipline réservée à l’élite, mais comme pratique accessible à tous au quotidien, la pièce s’interroge sur la fonction et le rôle de la création. ""Est-ce qu’en chacun de nous dort un artiste?" demande l’auteur, qui était obsédé par l’aspect social de la culture, explique Maher. Lee Hall vient de ce coin-là de l’Angleterre (Newcastle), d’un milieu où on se méfiait de l’art, qui était perçu comme un défaut de fabrication, et de l’artiste, vu comme un extraterrestre, un être anormal. La peur venait de l’ignorance, parce qu’on se méfie de ce qu’on ne connaît pas."
Chronique sociale non dénuée d’humour, Les peintres du charbon s’inspire de la vie réelle de ces travailleurs dont les oeuvres défilent sur scène, ajoutant un intérêt documentaire à la pièce. "Ces gars-là faisaient des journées de 10 heures dans des mines de charbon fermées, cinq ou six jours par semaine, pour un salaire hebdomadaire d’environ 5$. Ils ont peint des milliers de toiles pendant toutes ces années et il y a maintenant un musée près de Newcastle où on peut les voir. Ils ont réussi à se démarquer grâce à une force de groupe extraordinaire. La pièce se termine d’ailleurs à la veille de la nationalisation des mines en Angleterre par le Parti travailliste", ajoute Maher. Modèles de solidarité et porteurs de rêve social, ces improbables peintres confirment que l’art peut naître du fond des mines, et l’étincelle, s’allumer partout.