Je pense à Yu : Leçon d’histoire
Je pense à Yu réfléchit au sens du geste dissident des étudiants chinois de Tiananmen dans un texte riche mais abstrait, qui peine à s’incarner au théâtre.
Autour d’un choc personnel vécu à la lecture d’un entrefilet dans le journal au sujet de Yu Dongyue, ce Chinois ayant payé par 17 ans de prison un geste iconoclaste durant les événements de Tiananmen, celui d’avoir jeté de la peinture sur le portrait de Mao, Carole Fréchette a écrit une pièce inspirée de ses propres questionnements sur le militantisme, le sacrifice et l’incidence des gestes de révolte sur les vies individuelles et le destin collectif. Transposée chez le personnage de Madeleine, une traductrice qui revient du Grand Nord et cherche un sens à sa vie à travers la révolte de la jeunesse chinoise de 1989, la méditation de l’auteure, non dénuée d’intérêt, reste cependant figée dans des lignes théoriques.
Enfermée chez elle, presque misanthrope, Madeleine souhaite s’ancrer dans le monde à travers le destin lointain de ce jeune révolté d’une autre époque, incapable pourtant d’aider son prochain immédiat. Elle refuse de donner à l’étudiante chinoise Lin les leçons de français qu’elle lui avait promises, et résiste à se lier avec son voisin Jérémie (Jean-François Pichette). Jouant sur la relation de distance entre cette femme touchée par l’Histoire, mais incapable de vivre la sienne, Fréchette raconte sa remise au monde grâce au lien qu’elle développe avec deux êtres engagés dans leur existence: au présent pour Jérémie, qui sacrifie sa vie pour son fils malade, et au futur pour Lin, qui a choisi une vie tournée vers l’avenir en quittant la Chine. Paralysée dans le passé, Madeleine incarne progressivement son sens de la révolte dans l’individualité plutôt que dans la théorisation de destins historiques, or le texte, lui, reste didactique.
La scénographie de Jean Bard, raffinée et pourtant prometteuse, avec une belle utilisation d’images d’archives, ne réussit pas à extirper le texte de sa forme statique et abstraite. La partition faite de monologues intérieurs transmis par des voix off qui alourdissent le rythme, d’entrées de journal intime et d’extraits de lettres adressées à Yu projetés sur un grand écran d’ordinateur sur scène crée une distance avec le public plutôt qu’elle ne l’interpelle. Marie Brassard et Marie-Christine Lê-Huu font toutefois un travail admirable avec ce texte difficile à porter à la scène, offrant quelques moments lumineux, mais les échanges entre les personnages manquent de fluidité et la mise en scène de dynamisme. La charge documentaire de la pièce pèse lourd et semble avoir avalé l’élan dramatique de cette oeuvre qui offre une belle leçon d’histoire mais peu de chair théâtrale.