Alexis Martin et Dominic Champagne / L'odyssée : L'énigme du retour
Scène

Alexis Martin et Dominic Champagne / L’odyssée : L’énigme du retour

Plus de 10 ans après la création de L’odyssée au TNM, Martin Genest présente au Grand Théâtre sa lecture du texte d’Alexis Martin et Dominic Champagne.

Au retour de la guerre de Troie, Ulysse prend avec ses hommes le chemin de son Ithaque natale. "Ce qui est en jeu dans L’odyssée", précise Alexis Martin, qui cosignait en 2001 l’adaptation du poème d’Homère, "c’est beaucoup l’idée de pays et d’identité. Apparaît chez Ulysse le sentiment qu’on appelle aujourd’hui la nostalgie. La nostalgie, ce n’est pas de s’ennuyer vaguement un dimanche après-midi, mais d’avoir les jambes sciées par un manque profond du pays natal. En ce sens, je crois que l’identité québécoise comporte une grande part de nostalgie, une sorte d’exil intérieur bien figuré dans L’odyssée. Même si on le traite en prince chez Calypso, même si on lui promet l’immortalité, Ulysse préfère rentrer, parce qu’il lui manque quelque chose; il y a une sorte de lacune fondamentale dans son être. C’est ça, l’exil."

Cette quête des origines, Martin Genest la reprend à son compte. Le metteur en scène, qui avait entre autres donné à son Opéra de quat’sous les teintes du réalisateur Émir Kusturica, présente cette fois un spectacle inspiré du bédéiste Enki Bilal. "Je ne suis pas consommateur de science-fiction. Pourtant, ces univers portent souvent la trace des premiers peuples; dans Star Wars, par exemple, les grottes rappellent les troglodytes de Turquie, les coiffures rappellent le monde égyptien. Il me semblait important de rester connecté à cette base-là. Et comme je n’avais pas envie de monter une pièce classique du genre "Grecs en jupettes"…"

Cette couleur, elle sera visible notamment sur le visage et le corps tatoué des comédiens, lesquels traverseront plus de deux heures de maquillage avant les représentations. "Pour la scénographie, je parle volontiers de science-fiction, mais ça demeure un simple plancher de bois avec du cordage. Il y a néanmoins des indices un peu partout dans la musique, dans l’éclairage, les costumes. On va sentir l’inspiration de Bilal."

Tradition orale

"L’odyssée, à la base, ce n’était pas du théâtre, mais pas très loin", rappelle Dominic Champagne, qui avait cosigné l’adaptation avec Alexis Martin en plus d’en assurer la mise en scène. "Un poète arrivait dans une maison et racontait, au son de sa lyre, une histoire pendant 40, 50 heures. Un conte avant le temps, si on veut."

Même son de cloche chez Martin Genest, qui tient à payer son écot aux sources orales du poème d’Homère. "Le spectacle commence avec seulement une chaise et la mère qui raconte; c’est à travers ses paroles que subitement tout apparaît. Il y a des dieux, des démons, des déesses et des monstres, on est dans l’aventure. C’est presque un film d’action. Et comme ça se passe sur un bateau, j’ai pensé à des cordes et à ce que les gars soient toujours en train de travailler. Je leur ai dit, d’ailleurs, lors de l’embauche: "Entraînez-vous, parce que ça va être très physique.""

Reconnu pour son inventivité et fidèle à ses habitudes, Martin Genest compte faire appel à l’imagination de son spectateur, les mondes visités par Ulysse et ses hommes n’étant notamment suggérés qu’à travers des cordages qui, tirés dans toutes les directions, en dessineront les contours. "Je trouve intéressant d’arriver avec une nouvelle vision. Monté 20 fois par 20 metteurs en scène différents, ce texte permettrait 20 lectures tout aussi différentes. Donner lieu à plusieurs lectures d’un même texte, je pense n’avoir jamais vu ça au cinéma. Seul le théâtre fait ça."

En fait de divergences, le personnage d’Ulysse risque d’être fécond. Là où son prédécesseur Dominic Champagne voyait "l’homme errant comme héros mythique fondateur de notre identité", Martin Genest marque un pas de côté. "Ulysse, aujourd’hui, c’est un héros ou un fanatique? Pour arriver à ses buts et pour l’honneur, il est prêt à faire mourir ses hommes, à tout sacrifier. Il pense avoir raison, comme tous les fanatiques de la terre. Si je n’ai pas voulu trop insister sur cet élément, des liens seront néanmoins visibles; pour des croyances religieuses, pour l’honneur, on est prêt à tuer…"

Au-delà de l’héroïsme qui s’est imposé à notre lecture, L’odyssée, on a tendance à ne plus le voir, demeure une fresque violente. "On dit qu’il y a dans une guerre le germe de l’autre. C’est de cela que parle la mère qui raconte l’histoire. Elle boucle la boucle en s’adressant à la mémoire: "Tu nous trahis, ou tu es notre alliée?" Si on a tué mon fils, peut-être que je tuerai le fils de l’autre. Cette question, donc: la mémoire entretient-elle la vengeance de génération en génération, ou nous mène-t-elle au pardon?"

Sensible aux conflits qui émaillent le poème millénaire, le metteur en scène conclut sur une note pessimiste. "La guerre n’a pas de culture. Les pays sont tous en guerre de différentes façons. Ce sujet s’adresse à tout le monde et traverse le temps, malheureusement; si on en parle encore, c’est qu’on n’en est pas venu à bout. Et si on transpose cette histoire dans le futur – au moyen d’une esthétique -, cela suggère que la guerre, à grand déploiement ou avec un voisin, ne se réglera pas demain. Dans 250 ans, on sera peut-être encore en train de parler d’Ulysse."

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Sonner le réveil

À l’occasion du Jour de la Terre, Dominic Champagne espère rassembler à Montréal ce qu’il voudrait être la plus grande marche pour l’environnement de l’histoire du Québec.

Nos richesses naturelles bradées, les subventions à l’industrie, notre dépendance au pétrole, la question du nucléaire, le retrait de Kyoto… L’homme de scène Dominic Champagne, qui lance à l’occasion du Jour de la Terre une invitation à une grande marche pour l’environnement, est aussi intarissable que documenté. Devant tant de combats à mener, on a envie d’échapper un "à quoi bon?".

"Il y a une espèce de fatigue généralisée à l’égard de ces enjeux, concède Dominic Champagne. Les combats collectifs ont mené à tant de déceptions que nous nous sommes réorientés vers des plaisirs plus individuels. Il y a toutefois des enjeux globaux qui nous rattrapent et auxquels il faut faire face."

Oui, d’accord. Mais concrètement, la marche du Jour de la Terre peut-elle aspirer à quelque effet? Signataire de la déclaration du 22 avril, Alexis Martin tranche: "Qu’à une époque particulière des gens sentent plus d’une fois le besoin de descendre dans l’espace public, oui, ça a un effet énorme sur les politiques, j’en suis certain; ces gens-là sont très sensibles à ça."

Pour Dominic Champagne, qui rappelle entre autres les manifestations étudiantes, il est "extraordinaire de sentir tout ce qui bouillonne, tout ce qu’il y a comme volonté d’affirmation et de liberté. Le 22 avril est dans la foulée de ce printemps-là".

Son plus gros point, il le marque lorsque l’enthousiasme dans sa voix parvient à rappeler en nous un sentiment ténu, mais familier. "Il y a un bonheur à retrouver le sens de la communauté. Ça fait une génération qu’on nous martèle le "moins d’État possible" et le chacun pour soi. Je suis personnellement un grand individualiste, mais je sens en moi un appétit pour plus de fraternité, plus de communauté."

Car au-delà de tous les arguments, empilés dans notre quotidien médiatique jusqu’à plus soif, voilà peut-être ce qui manque: le sentiment du collectif.

Pour l’heure, l’invitation est lancée, direction la métropole. "C’est là que le gros happening va avoir lieu. Une marche, mais aussi un moment qu’on garde secret et que je voudrais unique et d’une grande beauté. Le monde de Montréal descend parfois à Québec pour fêter en grand. Cette fois, l’appel est lancé aux gens de Québec de venir faire un tour à Montréal, le dimanche 22. C’est là que ça va se passer."