Leçon d’hygiène, bestialités et mets canadiens : Joyeux festin
Avec le jouissif Leçon d’hygiène, bestialités et mets canadiens, Michel Monty entraîne le spectateur dans un joyeux festin survolté et sanglant qui écorche au passage l’Artiste avec un grand A.
L’accès aux gradins est bloqué. Les spectateurs pénètrent dans le théâtre et déambulent sur la scène où se trouvent des oeuvres d’art abstrait, une pile de livres, un homme en cage qui dessine, un lit d’hôpital… Les artistes participants à ce happening sont assis dans la salle et regardent le public de haut, verre de bulles à la main. Puis, les hôtesses en caleçon dictent les règles de la soirée. En quelques mots: tous doivent se soumettre au protocole.
Renversement des rôles, l’auditoire gagne finalement les sièges. La révolution artistique, telle que dictée par Zoutan, le gourou absent, peut commencer. Au centre de ce cirque: le livreur de pizza Igor (Igor Ovadis), qui sacrifie sa vie pour l’art. Entre les désirs de fin de vie du martyr, le clan manifeste artistiquement. Le poète exalté (Simon Lacroix, désopilant) se laisse aller à quelques élans d’inspiration spontanée. Le "chorégraphe du quotidien révolutionnaire" (excellent Mathieu Quesnel) et sa soeur, artiste burlesque sourde-muette (mystérieuse Bonny Giroux), dansent comme ils parlent. Le chef vedette (Justin Laramée) concocte des petits plats qui mettent le produit – les chairs d’Igor! – de l’avant. En maître de cérémonie, le galeriste aux jambes nues Chimène Rodrigue (Michel Monty) rythme le rituel de discussions sur l’art avec des questions aussi sérieuses que "les artistes et la drogue" et "Pourquoi l’art?".
Dans l’esprit des Cabarets insupportables, le quatrième mur est ici aboli pour inclure le spectateur dans la quête absurde des personnages. Et la manipulation opère. Les coauteurs Lacroix, Laramée, Monty et Quesnel auraient pu facilement tomber dans la comédie pour initiés truffée de références hermétiques. Ils tournent plutôt en dérision le culte de la personnalité de tous ces danseurs contemporains, chefs aux gros ego, hommes de lettres pédants et autres personnalités publiques qui pèchent par excès de suffisance et de susceptibilité.
Mais tout n’est pas que chaos dans cette mise à mort annoncée. À travers ce battage artistique, une seule voix s’élève pour parler de beauté. Celle d’Igor qui, sans superficialité, est le seul à savoir répondre à la question du rôle de l’art. À l’heure où l’artiste est largement sollicité de s’engager dans différentes causes, Leçon d’hygiène… s’interroge à juste titre sur sa responsabilité, mais aussi sur notre propre tolérance vis-à-vis de ses excès et lubies.