Patrick Huard : Valeur refuge
Porté par l’amour inconditionnel du peuple québécois, Patrick Huard remonte sur scène pour présenter Le bonheur, son troisième solo après une longue absence en salle de 12 ans. Paroles de chouchou.
L’humoriste favori des habitants de la Belle Province, celui que 94% des Québécois reconnaîtraient dans la rue selon une étude menée auprès des francophones du Québec, accorde souvent des entrevues les mains libres à bord de sa voiture. Pour rentabiliser son précieux temps, mais surtout "parce qu’un paysage défilant inspire toujours de meilleures conversations", selon ses dires. Pas de filtre pour cette longue entrevue, pas de cassette non plus. Se savoir le dépositaire d’un tel amour populaire le libère de toute autocensure.
Annoncé fougueusement une vingtaine de mois avant la première et gratifié d’une tarification record, le nouveau spectacle de Patrick Huard, intitulé Le bonheur, a d’abord semé la controverse. Surtout qu’au moment de la mise en vente des billets, aucune blague n’était écrite ou presque. Il dédramatise: "Les gens sont peu au courant des coûts de production d’un spectacle comme celui-ci. C’est important de dire que ça représente plusieurs centaines de milliers de dollars juste pour faire démarrer la production, qui nécessite de gros investissements pour engager des gens et veiller à la qualité de chacun des aspects…" À écouter le beau Patrick, on comprend qu’il a mis toute la gomme pour ne décevoir personne. Campagne de pub rétro-vintage créative dès l’annonce de la tournée, décors sophistiqués et fignolage durant des mois, le tout dans un nouveau contexte de création et d’écriture… De quoi légitimer des billets au prix de ceux de Madonna? Il semble que oui. Démonstration presque comptable à l’appui, Huard assume les coups des coûts.
Principal argument: vous aurez presque droit à deux spectacles pour le prix d’un. D’abord sur scène comme un seul homme, monologuant sur la vie, l’humoriste incarnera dans la seconde partie son personnage fétiche, le célèbre Rogatien Dubois Jr., chauffeur de taxi matricule 0-22 qui mâchouillait l’actualité comme son cure-dent à l’antenne de TVA. Des textes méticuleusement médités au fil d’éreintantes répétitions et sessions d’écriture sous la supervision du jeune auteur comique Sébastien Ravary, fraîchement diplômé de l’École nationale de l’humour. "J’avais le goût de brasser la cage, de me renouveler! Donc plutôt que de travailler avec mes habituels compagnons d’écriture, j’ai choisi un gars de 26 ans que je ne connaissais pas vraiment, avec des valeurs et des références différentes pour me confronter, me sortir de ma zone de confort…" Chaque soir ou presque à la sortie de scène, ils échangent inlassablement des remarques sur chaque détail. L’humour d’Huard est un bonsaï.
Crise de la quarantaine
Question qu’on se pose tous: galvanisé par le plébiscite inconditionnel de son travail, Patrick Huard agit-il parfois en tyran avec son entourage? Au contraire, il semble conserver l’humilité nécessaire à ceux qui cherchent à s’améliorer. Son équipe lui répète les mêmes conseils avec insistance chaque soir: "Patrick, peux-tu te calmer les trois premières minutes du show?" "En fait, ils me disent tous que je parle trop vite", avoue-t-il.
De la voix décryptée de son téléphone à poche, il explique, amusé, qu’il n’épargne personne de son entourage au moment de dégainer les gags. Marié à la chanteuse Anik Jean l’été dernier et papa de Nathan, né le 26 décembre, il voit les situations cocasses affluer de partout pour nourrir la bête qu’il apprivoise peu à peu. "Plus tu es à l’aise dans le show et avec le texte, plus tu peux ajouter des éléments. Pour être spontané, il faut être vraiment prêt. Là, je commence à sortir du texte pour improviser!" C’est ainsi que les manifestations étudiantes sont rapidement venues s’ajouter à la liste des sujets préférés de Rogatien.
Le bonhomme a décidément bien changé depuis l’époque des humoristes en culottes de cuir. Fini, les soirées où la griserie des applaudissements trouvait un prolongement dans les soirs de scotch partout en région après le spectacle. Repos en paix: "Je fais partie des privilégiés qui ont plusieurs occasions par jour d’être heureux: en montant sur scène, en étant un père, un mari, en faisant des sous… Mais j’ai maintenant de la grosse difficulté à m’imaginer plus grand bonheur que d’être assis avec ma femme et mes enfants devant un bon film à la maison!"