Billy (les jours de hurlement) : En beau maudit
Finement construite, Billy (les jours de hurlement) creuse par l’intime une mise en doute de nos comportements collectifs. De la satire sociale à son meilleur.
Que cachent nos invectives souvent violentes envers les BS, les pauvres, les profiteurs du système, mais aussi les plus forts, les dirigeants et tous ceux qui détiennent le pouvoir? Envers et contre tous, les trois personnages imaginés par Fabien Cloutier chialent à coeur joie, déversant leur fiel qui sonne à nos oreilles comme une chanson commune, trop connue, dirons-nous. Leur colère ressemble en effet à celle qu’on entend tous les jours (sans la retenue et la pudeur derrière lesquelles on dissimule ses excès), qu’on nourrit nous-mêmes sans vraiment réfléchir, par réflexe ou lâcheté. Mis bout à bout, ces commentaires critiques envers un voisin qu’on accuse de tous les maux dégagent une sale odeur de soufre et de mépris.
Tourné vers le monde ordinaire et des personnages qui dépassent les limites de l’acceptable sans en avoir l’air, le théâtre de Cloutier explore les zones d’inconfort et de malaise qui s’immiscent dans la banalité du quotidien, chez le gars d’à côté, le suivant, en nous-mêmes, quoi. Scotstown et Cranbourne faisaient le portrait des gars de campagne peu éduqués, qui sacrent comme des charretiers et envers lesquels on a le jugement facile. Si le grotesque personnage du père de Billy leur ressemble, sans classe avec son franc-parler vulgaire et sa dégaine triviale, son discours s’avère plus violent que drôle. Croisant les monologues d’une réceptionniste, d’un préposé au matériel d’affichage et d’une adjointe à la formation senior, tous affiliés à une même commission scolaire, tous en maudit contre un système et qui choisissent de briser le silence, Cloutier construit une cinglante critique de notre déresponsabilisation, faisant habilement dévier la position du spectateur par un renversement inattendu qui interroge nos préjugés. Tout cela dans de froids cubicules éclairés par des néons, un univers aseptisé qui contraste avec la langue contaminée par la haine, ordurière.
Produit par le Théâtre du Grand Jour, le drame intime de ces êtres isolés par leur colère pose des questions brûlantes de morale et de société sur la responsabilité, la justice et la lâcheté en les incarnant dans des scènes de la vie ordinaire. Évitant le didactisme, Cloutier ébranle nos certitudes de l’intérieur, affronte le pacte intime et social qui nous dédouane trop souvent d’une certaine culpabilité, appelant à un comportement plus responsable par une éloquente démonstration d’injustice. La mise en scène de Sylvain Bélanger est fort efficace, faisant évoluer l’excellent trio d’acteurs (Louise Bombardier, Catherine Larochelle et Guillaume Cyr) face au public, ce qui accentue l’effet coup-de-poing de cette parole exécrable qu’on déteste d’abord, mais dont on devient malgré soi complice.
Le père de Billy est le personnage principal de ce spectacle. Avec son gabarit impressionnant et ses vêtements, il me faisait plus penser à un ouvrier de la construction qu’à un concierge. Ces parois vitrées, pouvant faire penser à des cubicules, contrastaient avec les bottes à caps d’acier qu’il portait. Ce spectacle était d’une durée d’à peine une heure. La réceptionniste était le 2e personnage le plus important et, avec elle, c’était comme si l’enfer était pavé de bonnes intentions. Le 3e personnage, celui de l’adjointe à la formation, me semblait être le plus faible dans ce spectacle, presque sous-utilisé. Fabien Cloutier utilisait un texte beaucoup plus corrosif dans Scotstown.