Playtime : Folle boussole du désir
OEuvre risquée, jouissive et pleine de personnalité, Playtime fait l’effet d’une petite bombe. Un authentique hommage au jeu qui nous domine.
Tel un radar branché sur les pulsions du désir, la nouvelle création du collectif Momentum court dans tous les azimuts. Carburant à l’énergie brute et sauvage de l’éros, cette force obscure qui a inspiré la création mise en scène par Céline Bonnier, l’oeuvre sensorielle se rapproche plus de la performance que du théâtre. Peu de mots, en effet, mais beaucoup d’effets, de gestes et de sons dans ce spectacle empreint du jeu avec, trônant au milieu de la scène, un tourniquet signé Lino sur lequel s’amuseront les cinq personnages de ce cirque pulsatif et burlesque.
En hommage à la joyeuse satire des temps modernes de Jacques Tati, Playtime parodie nos comportements d’adultes en les confrontant à la puérilité des forces qui nous dominent. Le monde mécanisé et virtuel rivalise avec l’humain qui s’exprime d’étranges façons, frôlant parfois l’occulte, cherchant à circonscrire l’insaisissable terra incognita du désir. Éclatée mais soutenue par une vraie personnalité et un rythme captivant, l’oeuvre orchestrée par l’excellente bande sonore signée Nancy Tobin (aussi interprète de ce quintette) devient un concert vivant de souffles et de coeurs qui battent.
La force du délire vient entre autres de la liberté manifeste avec laquelle les cinq concepteurs-interprètes ouvrent les portes de leur intimité, tous solides et assumés dans leurs propositions. Certains tableaux abracadabrants se laissent apprécier pour l’énergie qu’ils dégagent plus que pour un sens volontairement ouvert, comme cette performance d’équilibre sur talons hauts offerte par l’excellent Paul-Patrick Charbonneau qui sera ensuite plastifié avec l’attirail de chaussures qu’il traîne comme un cortège de jouets. Se succèdent des scènes provocatrices moins originales, de vraies pitreries et des tableaux explicitement sexuels, comme cet efficace exercice de récurage de melons par Clara Furey et Stéphane Crête qui n’y vont pas de main morte avec le fruit trituré jusqu’à la mort.
Plus loquace que ses complices, Gaétan Nadeau offre des numéros parlés réjouissants et désopilants. Entre un répartiteur qui guide ses taxis sur les routes du Québec suggérant l’abstrait labyrinthe du corps humain et un truculent déversoir de jurons, il offre une hilarante parodie des discoureurs théorisant sur les mystères du fameux désir dans un charabia abstrait qui, à force de vouloir nommer l’innommable, creuse le vide qu’il essaie de remplir, rappelant le va-et-vient auquel tous les corps sont condamnés. Une belle leçon de liberté.