Enrico Casagrande : Le théâtre aux poudres
Scène

Enrico Casagrande : Le théâtre aux poudres

Enrico Casagrande, de la compagnie italienne Motus, revisite Antigone avec Too Late! (antigone) contest #2 et Alexis, una tragedia greca. Retour à l’antique révolte pour éclairer celle de l’homme contemporain.

Pour sa troisième visite à Montréal, Motus débarque au FTA avec deux créations liées au projet Syrma Antigones lancé en 2008. Après les figures contemporaines de Genet, Pasolini et Fassbinder, la dramaturge Daniela Nicolò et le metteur en scène Enrico Casagrande sont partis sur les traces d’Antigone. "On a trouvé des questions encore très vivantes chez Antigone qui nous confrontent avec la société et la Grèce d’aujourd’hui, qui cherche à sortir de cette situation financière catastrophique", explique Casagrande.

La compagnie, réputée pour son théâtre engagé qui appelle à l’action, a mené une enquête en Grèce autour d’un adolescent de 15 ans, Alexandros Grigoropoulos, mort sous le feu des policiers au cours d’une manifestation en 2008. Cette icône de la jeunesse rebelle leur a inspiré Alexis, un projet théâtral lié à une expérience de terrain, puisant dans la tragédie réelle et actuelle. "Ce jeune a donné à toute la société civile une raison de sortir dans la rue et a amorcé un processus de transformation profonde de la Grèce, qui est devenue le miroir des autres pays d’Europe. Il y a peu de possibilités pour la jeunesse d’aujourd’hui. La voix d’Antigone est celle de la nouvelle génération qui cherche sa place."

Pour les deux complices, le théâtre est une arme de "terrorisme poétique" qui doit inciter au débat. Too Late! fait partie d’un triptyque construit sur des affrontements entre les personnages mais aussi entre les acteurs et le public. "Les contests sont des confrontations sur plusieurs thématiques d’Antigone. Dans Too Late!, c’est la relation entre deux générations: Créon d’un côté, Antigone et Hémon de l’autre. On partage les questions avec le public qui est placé au coeur de l’espace, ou en position semi-frontale."

Too Late! suggère aussi que dans Antigone, les personnages agissent après l’irréparable. Contre cette fatalité, le théâtre Motus invite à agir avant qu’il ne soit trop tard. "Avec Alexis, on a parlé de la Grèce comme d’un laboratoire pour le futur, explique Casagrande. On a présenté le spectacle dans le nord de l’Afrique et puis il y a eu Occupy Wall Street. Ce mouvement mondial nous a donné une force incroyable de réflexion. On n’est pas arrivés trop tard, mais trop tôt! On a participé à quelque chose d’immense et partagé une dimension de recherche et de révolte dans le contemporain."

À partir de la version de Brecht qui met l’accent sur la relation d’Antigone avec le pouvoir, les deux pièces établissent donc un pont entre des forces archaïques et celles d’aujourd’hui pour forger le combat de demain. "C’est utopique et la révolution est difficile aujourd’hui, mais je crois que le théâtre peut entrer dans le politique", confie Casagrande. On est tenté d’y croire.