Le cri des Balkans
Avec Maudit soit le traître à sa patrie!, Oliver Frljic et Tomaz Toporisic présentent ce que la scène post-yougoslave fait de plus frondeur et subversif. Le FTA accueille les enfants terribles des Balkans.
Produite par le Théâtre Mladinsko, un théâtre politique de recherche interdisciplinaire et pamphlétaire, la pièce écrite par Oliver Frljic, un Bosniaque issu de la performance de rue qui a connu le génocide de Srebrenica, traite des traumatismes de la guerre des Balkans. Le dramaturge Tomaz Toporisic, qui a répondu à nos questions, considère que le spectacle-choc dépasse largement le contexte de l’ex-Yougoslavie. "Notre performance est une protestation contre n’importe quelle forme de guerre et les malentendus politiques entourant les conflits guerriers. Nous interrogeons la question des frontières de la liberté artistique et sociale, de la responsabilité, de la tolérance et des stéréotypes individuels et collectifs. À l’origine du spectacle, il y avait le fait que nous avions tous expérimenté la guerre depuis des perspectives différentes. Ça nous a menés à explorer les thèmes du nationalisme latent, des crimes de guerre et du théâtre comme champ de guerre."
Avec le bagage de l’histoire tragique d’un pays qui s’est entredéchiré après avoir brandi ses drapeaux au point de diviser les familles et les amis, la compagnie a cherché à éclairer la situation politique mondiale actuelle à partir de l’échec d’un pays qui a un jour "trahi l’idée de la Yougoslavie avec son potentiel libérateur, en échange d’identités nationales et du capitalisme néolibéral", explique Toporisic. Le fil conducteur de la pièce éclatée qui charcute toutes les idéologies est donc la crise politique de notre société "post-démocratique". "Récemment, nous nous répétons tous cette question: y a-t-il quelque chose derrière le rideau du capitalisme néolibéral? Je ne crois pas à la démocratie directe comme système politique, qui est impossible avec les pressions actuelles, mais je partage la croyance avec Oliver Frljic qu’au théâtre, nous n’avons pas à répéter la mauvaise hiérarchie sociale et politique de notre société. En ce sens, le théâtre peut être perçu comme un générateur de changement social qui crée un environnement où une nouvelle façon de penser peut s’opérer."
Utopique, certes, mais aussi courageux et agitateur, le combat des deux complices se fonde sur un théâtre irrévérencieux qui provoque directement le public dans un dialogue actif. "Le théâtre devrait émanciper le performeur et le spectateur, et aborder les sujets que les politiciens n’osent pas aborder. Nous essayons de créer une situation où le public doit sortir de son rôle passif et prédéfini. Nous espérons ses réactions, convaincus que la performance est le résultat d’une interaction entre le performeur et le public."
Parmi ces sujets pris de front dans la pièce: le nationalisme, la responsabilité américaine dans la guerre des Balkans, les dérives colonialistes, traités dans un langage politiquement incorrect qui provoque parfois de vives réactions dans le public. La pièce donne tour à tour la parole à des individus de tous âges qui parlent de leur propre mort, lancent des invectives directes au public et brouillent les frontières entre la fiction et la réalité. "Nous savons tous que la vérité et sa réalité correspondante sont une question de consensus. Nous utilisons des stratégies pour interroger ce qui est vrai sur la scène et dans la société. Je crois que la forme théâtrale fait de la fiction avec tout, se nourrissant de la réalité politique, sociale et intime." Protestataire et clairement dirigé contre le système néolibéral qui nous fait taper de la casserole, ce spectacle-manifeste risque de trouver écho dans le Québec actuel passé en mode combat.