Rick Miller / Vendu : Par-dessus le marché
Dans Vendu, Rick Miller joue à Clotaire Rapaille. Mais c’est le comédien et auteur qui sert de cobaye à cette exploration de la psyché d’un monde où tout est mis en marché. À commencer par soi-même.
"Le spectacle débute dans le foyer, à l’entrée. Je suis là, j’y vends mes produits", explique Rick Miller. Celui qu’on a vu dans Lipsynch et dans Zulu Time de Robert Lepage monte ensuite sur scène pour y jouer son propre personnage. Mais s’opère alors une dislocation. D’un côté, il y a Rick, l’idéaliste un peu naïf, artiste aux principes forts mais malléables, bourré de contradictions. Puis il y a Arnie, le cynique, sorte de jumeau caustique de Rick qui aime le jeu et embrasse la part d’ombre de la mise en marché permanente à laquelle le monde nous oblige. Ensemble, ils forment la conscience de Rick Miller. La nôtre aussi.
Comme dans son spectacle précédent, Bigger than Jesus, qui tisse des liens entre le théâtre et la religion, Vendu expose ce qui relève de la comédie dans la société de consommation. "Avec la religion, ici, on peut prendre une certaine distance. Mais le marketing, c’est une chose dans laquelle nous sommes tous impliqués. Ce qu’on écrit sur Facebook ou Twitter, c’est de la mise en marché. L’entrevue que nous faisons en ce moment, c’est ça aussi. Dans ce spectacle, je me mets psychologiquement à nu. J’essaie de mesurer mon implication dans ce monde de vente, mais je montre que nous sommes distraits, parce que sans cesse divertis, ce qui nous empêche de voir notre complicité dans cet univers de marketing et de comprendre les conséquences de nos actions, de nos choix."
"Dans Bigger than Jésus", poursuit le Montréalais d’origine devenu Torontois, "j’explorais le rituel, la séduction, les croyances, les histoires: tout ce qui nous attire au théâtre comme vers la religion. Dans Vendu, j’utilise le même procédé pour montrer que nous voulons être manipulés, que c’est naturel, qu’on veut être distraits de la réalité parce qu’on ne veut pas savoir d’où viennent les choses que nous achetons, par exemple."
Entre discours moralisateur et cynisme déculpabilisant, Miller oscille en même temps qu’il passe d’un personnage à l’autre, nous montrant le débat qui se livre à l’intérieur de lui-même pendant les 75 minutes que dure cet ovni pas tout à fait théâtral où cohabitent la réflexion existentielle, le chant, la danse, le jeu, l’imitation (dont une de Clotaire Rapaille) et la critique sociale.
"Et à la fin du spectacle, je retourne dans le foyer du théâtre pour vendre mes bebelles et discuter avec le public", termine Miller, ajoutant qu’il n’a pas honte de se mettre en marché, puisqu’il se considère comme un produit aux conséquences relativement peu nuisibles. "Parce qu’au fond, et c’est ce qu’on dit dans Vendu: tout est à vendre. Alors le seul choix qui nous reste, c’est celui de ce qu’on vend."
Une bonne pièce sur la consommation avec un seul personnage sur scène. Une heure trente sans entracte et un bon souper à la Piazetta avant la pièce.