Pol Pelletier : L'art héroïque
Scène

Pol Pelletier : L’art héroïque

L’indomptable bête du théâtre québécois Pol Pelletier poursuit sa marche de résistance avec La pérégrin chérubinique, un monologue mystique de Jovette Marchessault présenté au FTA.

Si Pol Pelletier a mené son combat d’artiste absolue en solitaire, persévérant depuis 35 ans, elle communie aujourd’hui avec les mouvements de manifestation du Québec, galvanisée par la bulle d’espoir soudain éclose dans la morosité. Dans un mot d’accompagnement présenté lors du lancement du festival, la souveraine dramaturge explique pourquoi elle a choisi de se désolidariser de l’institution que sont devenus l’art et les artistes. "Il n’y a rien de mieux qu’une consommation de pseudo-art pour se rasseoir, se donner bonne conscience et éviter de voir véritablement. C’est pourtant le rôle des artistes de révéler. Pour faire de l’art, il faut se retirer du marché", explique-t-elle, défendant avec son intraitable ferveur l’art comme un acte héroïque, en profitant pour lancer un débat sur le sens de l’art dans notre société de consommation où les artistes sont "devenus pareils aux politiciens, avides de prestige, de pouvoir et de notoriété".

Contre ce monde capitalisé du divertissement, La pérégrin chérubinique de Jovette Marchessault s’élève en chant solitaire, courageux et héroïque d’une femme en fin de vie. Pelletier avait déjà adapté au théâtre Les vaches de nuit de l’auteure septuagénaire d’une quinzaine de pièces marquées par la condition féminine, récompensée du Prix du Gouverneur général pour Le voyage magnifique d’Emily Carr (1992). "La Pérégrin chérubinique est l’histoire de l’ultime pèlerinage d’une femme qui se dirige vers la mort. Elle va aux sources du religieux. On est un peuple profondément religieux, probablement parce qu’on est désespérés, croit Pelletier. Le parcours de la pèlerine est aussi celui de notre civilisation capitaliste qui court vers sa disparition. C’est un texte apocalyptique, somptueux et fulgurant."

Née dans une famille ouvrière très pauvre de Saint-Henri, ayant quitté l’école à 13 ans pour travailler en usine, Marchessault est devenue écrivaine en partant de rien. "Jovette représente le parcours de notre peuple de paysans ignorants devenu très éduqué." Le texte porte aussi la parole d’une femme forte, trop rare aujourd’hui, selon la fondatrice du Théâtre expérimental des femmes qui considère le féminin comme la force majeure de la culture québécoise. "On avait le mouvement des femmes le plus profond et le plus original au Québec, mais il a été réprimé après la tuerie de Polytechnique. Et puis on traite mal nos artistes, surtout les femmes. Les textes de Gauvreau ont été montés après son suicide et je m’étais juré que Jovette ne subirait pas le même sort."

Accompagnée du musicien Jean-Jacques Lemêtre sur scène, Pelletier proposera quatre actes révolutionnaires en solidarité avec les étudiants après les représentations. Elle partira ensuite fonder un théâtre pour artistes révolutionnaires à la campagne, dans la lignée de son École sauvage, loin des mondanités. "Je me sens comme Che Guevara, dit-elle, et je crois que ce qui se passe actuellement dans les rues de Montréal est la seule révolution mondiale qui ait des chances de réussir." Si elle est aussi obstinée que Pol Pelletier, elle a des chances de lui donner raison.