Henry Rollins : Mission à finir
Henry Rollins est fort en gueule et revendique le droit à l’intelligence. Avec un sens de l’humour implacable, ce maître du spoken word dresse le portrait d’un cirque géopolitique qui l’interpelle.
Black Flag et le Rollins Band: seulement ça suffit pour définir l’artiste que nous avons à l’autre bout du fil et qui a marqué le punk, le hardcore et la scène musicale underground aux États-Unis tout au long des années 80 et 90. Mais Henry Rollins est beaucoup plus que ce chanteur tatoué à la musculature imposante, c’est aussi l’acteur (la plupart du temps pour des rôles secondaires) qu’on a vu dans The Chase aux côtés de Charlie Sheen et dans Heat en face d’Al Pacino. C’est l’animateur de radio et de télévision (The Henry Rollins Show). C’est le journaliste et le correspondant qui a séjourné en Irak, en Corée du Nord et en Afghanistan. C’est le militant engagé, défenseur des droits de l’homme et pacifiste, qui critique les têtes grises républicaines de son pays. À tout ça, vous devez ajouter sa carrière dans le spoken word. Ce monologuiste est redoutable et son spectacle est le véhicule idéal pour afficher ses convictions avec un brin d’humour.
"Il n’y a pas de doute dans mon esprit, précise-t-il. De toutes les choses que j’ai faites dans la vie, que ce soit l’écriture, les groupes de musique, la plus naturelle pour moi, c’est de me retrouver sur une scène pour faire un monologue. Sur scène, je me sens chez moi, ça n’a jamais été un problème. Parler aux gens comme ça, j’ai l’impression que c’est la bonne chose à faire."
Rollins est maintenant un vétéran du stand-up. Depuis les années 80 qu’il monte sur scène pour porter un regard tant sur la musique, le star-system, la politique américaine que sur ses nombreux voyages au caractère idéaliste. Militant dans l’âme, ce colosse au coeur tendre de 51 ans cherche à éveiller la collectivité aux grandes questions qui le préoccupent. Il cherche aussi à montrer à ses compatriotes américains que de s’ouvrir aux autres et d’être critique est essentiel. Intitulé The Long March, son nouveau spectacle est en droite ligne avec cette perception.
"Ce spectacle est pour moi l’occasion de revenir sur certains voyages que j’ai faits et de montrer où j’en suis dans mes réflexions politiques. Lorsque je suis aux États-Unis, je me permets de critiquer certains personnages politiques de la droite américaine. Ailleurs, que ce soit en Australie, en Allemagne ou chez vous au Québec, je m’y prends autrement, mais je reste tout aussi critique envers la politique de mon pays. Je fonde beaucoup d’espoir sur l’individu. Peu importe sa nationalité, je suis sûr qu’il y a un moyen d’en appeler à son intelligence."
Son travail de recherche ressemble beaucoup à celui d’un journaliste. L’artiste collecte les témoignages sur le terrain et met à rude épreuve sa propre mentalité américaine assommée par les médias de masse. Très dur à l’égard de la paresse intellectuelle, il tente de répondre à des questions en visitant la Corée du Nord et l’Iran, par exemple. Deux destinations peu prisées des Américains. "En effet, ce n’est pas la norme! Mais lorsque tu es préparé pour ces voyages, il n’y a pas de problème. Personne ne peut vraiment savoir ce qui se passe au sein de la population nord-coréenne. Tu constates plutôt comment ce gouvernement fonctionne. Par contre, en Iran, les contacts humains sont plus fréquents et tu peux parler avec les gens librement. Mais quand je leur pose des questions, je suis conscient qu’il faut que je fasse attention. Je ne veux pas insulter qui que ce soit, encore moins porter un jugement sur leur culture. Et je ne veux pas placer ces personnes dans des situations délicates. On ne peut pas tout comprendre, mais au moins il y aura eu un dialogue."
Rollins étant toujours au fait de l’actualité, même le conflit étudiant au Québec a piqué sa curiosité. "Un journaliste canadien m’a dit que les étudiants québécois n’étaient que des enfants gâtés. C’était son opinion, et j’ai trouvé ça dommage. Selon moi, si vos jeunes ne sortent pas dans la rue, vous aurez ce qu’on a aux États-Unis: un pays pollué, rempli d’obèses et sans instruction. Ce sont des racistes, pas tous bien sûr. Ce sont des homophobes, pas tous. Ils sont misogynes, pas mal tous, malheureusement. C’est un pays qui dit oui à la guerre… Mon pays est rempli d’êtres humains qui se bourrent la gueule de McDonald’s, qui se foutent de leur santé et qui ne vont pas voter. Chez vous, vos jeunes sont dans la rue pour défendre l’éducation, c’est ce que j’ai compris. Vous devriez être fiers d’eux." Parole de Rollins.