Sarah Berthiaume : Dans les ruines du Madrid
Scène

Sarah Berthiaume : Dans les ruines du Madrid

Appelée à écrire une pièce pour Le Petit Théâtre du Nord, Sarah Berthiaume a créé, avec Les orphelins de Madrid, une comédie noire sur le deuil amoureux en passant par celui du célèbre hôtel Madrid.

Quand un monument s’effondre, un pan de l’histoire meurt avec lui. Avec ses dinosaures, un gipsy électrique qui exauce des voeux et l’irremplaçable Normand L’Amour, le Madrid a aussi enterré avec lui quelque chose de nous, en témoigne "l’attachement bizarre et un peu contradictoire qu’on lui vouait collectivement", explique l’auteure qui aime faire des lieux ses personnages principaux. Souvent disparus, lointains ou pervertis, ils renvoient aux individus qui les habitent. "Ce lieu, c’était une blague, une curiosité anthropologique, un freak show de bord d’autoroute. Si on mettait les pieds là, c’était immanquablement avec une bonne dose de dérision. Pourtant, je me souviens d’avoir vu le Madrid représenté dans Paul à Québec et d’avoir ressenti quelque chose comme un attendrissement, comme si je reconnaissais quelque chose de moi, comme si ce lieu, dans son improbable laideur insolite, parlait tout de même un peu de nous."

Avec cette comédie noire, Berthiaume critique la nostalgie plutôt qu’elle ne s’apitoie sur le sort du défunt hôtel, et évoque les écueils du couple et de l’explosion de la cellule familiale. L’histoire de ce couple divorcé qui s’échange l’enfant à la garde partagée à l’hôtel-restaurant entre Montréal et Québec est celle d’une fin d’ère et d’une reconstruction. "Les personnages sont devant les ruines du Madrid comme ils sont devant les ruines de leur couple, de leur famille, de ce qui constituait autrefois leur avenir. Ils y reviennent immanquablement, y errent, s’y poursuivent, s’y perdent. Ils en sont en quelque sorte prisonniers." Le metteur en scène Sylvain Bélanger compare la pièce à un film d’action à cause du rythme fou, explique l’auteure, et désigne la quête de ces personnages comme celle d’êtres en état de manque, prêts à tout pour le pallier.

Poursuivant son exploration des aliénations de l’homme moderne entamée avec ses précédentes pièces (Villes mortes, Disparitions et Yukonstyle, qui sera présentée au Théâtre d’Aujourd’hui la saison prochaine), Berthiaume plonge ici dans le genre de la comédie, qu’elle a moins fréquenté. Nul doute que le Madrid l’a aidée à verser naturellement dans le genre avec son nom de capitale espagnole si peu approprié à la poutine et aux mets chinois qu’on y servait, mais au-delà de l’ironie, de l’humour noir et du réalisme magique qu’on y retrouve, la pièce interroge la parentalité. Berthiaume sort des préoccupations de sa génération (Y), travaillant avec une distribution composée de l’équipe du Petit Théâtre du Nord (Luc Bourgeois, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent), dans la quarantaine. "Mes pièces précédentes présentaient souvent des personnages en quête d’identité, de repères ou d’origine. Les personnages cherchent ici à se reconstruire beaucoup plus qu’à se définir. C’est une comédie sur les amours mortes, le deuil et la résilience." Inversant l’archétype de la famille éclatée, Berthiaume a imaginé un père ultraprotecteur et une mère irresponsable et sexuellement affranchie. À leurs côtés, un ancien serveur du restaurant nourrissant des fantasmes de vengeance envers Normand L’Amour et Zoltar, le fameux gipsy-automate, sera aussi sur scène. La résurrection du Madrid est à nos portes.