Fabien Cloutier : Tragédie métal
Scène

Fabien Cloutier : Tragédie métal

Sacrifice!, la nouvelle création de Fabien Cloutier, joue du tragique en rock métal. Le fanatique de hockey en prend pour son rhume.

Fabien Cloutier n’est pas un fan de hockey, mais ce sport national qui rassemble les hommes sans discrimination ayant trait à la langue, la religion ou la classe sociale, déplace les foules et déclenche des accès de violence extrême avait tout pour attirer l’homme de théâtre réputé pour ses portraits de société vitrioliques. Dans la lignée de Billy, sa dernière pièce qui traitait des débordements de la colère collective, Sacrifice! suit le mouvement de révolte déclenché par des partisans frustrés par leur club de hockey, qui descendent dans la rue et sacrifient le gardien de but pour enfin connaître la rédemption. "Au début, je voulais parler du fanatisme du hockey, mais c’est devenu un prétexte, lance Cloutier. Les événements du printemps m’ont inspiré. J’avais une scène où 200 000 fans allaient faire sauter le Centre Bell, et en même temps, il y avait 200 000 vraies personnes dans la rue. Celui qui reste chez lui et ne fait rien m’énerve. Avec Billy, je réussissais à l’excuser, mais pas ici. Si Sacrifice! est une tragédie partisane, c’est peut-être parce que moi, je suis un peu plus partisan. Ça ne me tente plus de dire que les cons ont raison, ça me tente juste de les traiter de cons!"

Toujours aussi enflammé et radicalement engagé dans un théâtre direct, qui secoue et vilipende sans détour le flanc mou, l’hypocrite et l’homme désengagé, Cloutier a imaginé dans un futur rapproché (2017) un Québec allant jusqu’au bout de sa révolte, nourrie par un dangereux fanatisme, et sacrifiant celui qui fut élu coupable. "Je me suis donné une distance de quatre, cinq ans pour montrer un peuple de plus en plus en colère qui se lève, très fâché, puis se dit en bon Québécois: "Calmons-nous un peu, ce n’est pas si pire que ça", jusqu’à ce qu’un oracle se lève et dise: "Allons jusqu’au bout!" Et ultimement, en sacrifie un." Ce geste fatal fait entrer le peuple québécois dans la tragédie, ce dernier osant agir, certes, mais faisant aussi mauvais usage de sa force. Les références au mouvement de protestation du printemps érable, à ses débordements et à son essoufflement, sont criantes. "Il y avait quelque chose d’hyper poétique dans les casseroles et c’est tout à notre honneur de répondre au mépris avec la poésie, mais ça a ses limites. Quelles armes on va prendre et comment on va les utiliser maintenant? Moi, j’ai choisi le théâtre."

Tenant mordicus à ancrer son art dans le présent, Cloutier profite du Zoofest pour étrenner un texte tout chaud. Après avoir promené ses solos Scotstown et Cranbourne, qu’il modifiait au fil des représentations, puis monté Billy avec le Théâtre du Grand Jour, il revient à cette liberté de laisser évoluer un texte ouvert aux changements, en dialogue avec le public qui le reçoit. Ses six comédiens acceptent le beau risque d’une démarche en constante évolution, sachant que d’un soir à l’autre, la pièce peut changer.

La langue de cette "tragédie partisane" est toujours aussi crue, vulgaire et charnue, et les personnages, grotesques et déchaînés dans l’étalage de leur imbécile naïveté, mais l’auteur entre dans le registre plus élevé du tragique. "Cette langue sans compromis, transposée à la tragédie, a la permission des envolées lyriques. On est plus clairement au théâtre. J’aime le potentiel tragique des choses ultraquotidiennes. On voit souvent les gens ordinaires en colons caricaturés. J’essaie de déplacer l’objectif pour me placer du côté de ce qu’ils vivent. Et ça devient tragique."

L’humour et la grossière indécence sont pourtant encore au rendez-vous. "Il y a des phrases qui font friser, promet Cloutier. Ce n’est pas une tragédie pure. On est très power métal. Je suis un ancien métalleux et j’aime quand ça gratouille assez fort."