Le prénom : La mauvaise blague
On se tape sur les cuisses et on grince des dents devant Le prénom, une comédie sur les dérapes en famille et petites guerres entre amis.
Elle fait glisser vers la pente dangereuse, le champ miné, susceptible de faire déraper la soirée et de réveiller les secrets malveillants. C’est de ce genre de blague que raffole Vincent (Patrice Robitaille), l’emmerdeur par excellence qui arrive chez sa soeur, brandissant et défendant le prénom controversé de son futur enfant, ce qui déclenche l’ire de Pierre (Christian Bégin), le mari de sa soeur qui est aussi son ami d’enfance. Déjà, les belligérants annoncent leurs camps. Vincent, bouffi d’orgueil, a réussi dans l’immobilier. Il incarne le parfait parvenu, un peu vulgaire, provocateur et confiant. Pierre est professeur de littérature à McGill, bourgeois engoncé dans les principes et les manières, qui se fera rapidement prendre au jeu de son effronté adversaire dont la mauvaise blague aura un effet domino sur la petite société, réveillant hargne, rancune et animosité cachées.
La dynamique simple mais efficace de la vraie nature révélée par le jeu crée un renversement de situation qui commence presque tendrement, pour se déployer dans un feu d’artifice verbal désopilant et fielleux. Certains passages font dans l’humour gras et trivial, mais quelques répliques assassines font mouche, puis déclenchent finalement de vraies scènes martiales où amis, maris et femmes s’entredéchirent comme des fauves. Tout y passe, de la politique à la sexualité, en visitant les pires clichés sur les différences sociales, économiques, les jalousies et les passions interdites. Certains passages frôlent la caricature, mais le texte des auteurs français Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière (efficacement adapté en québécois par Maryse Warda qui a pris soin d’ajouter plusieurs références locales) a du galon, et l’esprit se révèle dans les derniers moments de la pièce où culmine la tension dramatique.
Serge Denoncourt a bien dirigé les acteurs qui maîtrisent la déferlante de mots, bien qu’il manque parfois de pauses pour digérer les rapides échanges. Patrice Robitaille est particulièrement féroce et juste en trouble-fête et persifleur de haute voltige, et Isabelle Vincent offre un jouissif morceau de défoulement lorsqu’elle sort littéralement de ses gonds et envoie paître toute la compagnie, rappelant des scènes d’anthologie de Francis Veber. Le verbe est à l’honneur dans ce huis clos somme toute assez classique dans sa forme, porté par une scénographie ultraréaliste. Les blagues bouffonnes y côtoient l’humour noir et cinglant, mais quand la cruauté prend le dessus sur la politesse, la plaisanterie fait place à une injurieuse destruction d’égos qui dépasse la comédie légère. Les derniers dominos tombent et on salue l’audace de ce divertissement de qualité qui nous fait presque aimer le doué arnaqueur qui a provoqué ce carnage.