Olle Strandberg : Sous les muscles de Superman
La compagnie suédoise Cirkus Cirkör fait sortir le cirque de ses carcans avec Undermän. Le directeur artistique Olle Strandberg raconte l’histoire de ces hommes détroussés que le spectacle a sauvés.
Longtemps, le cirque a construit l’image de l’homme fort, tout-puissant, levant poids, haltères et corps comme Atlas portait la Terre. Derrière ces héros-acrobates se cachaient pourtant de vrais hommes qui ne pouvaient soutenir le monde. Trois d’entre eux nous arrivent de Suède avec un spectacle intime qui détonne dans le paysage circassien traditionnel, déconstruisant le mythe du surhomme en s’inspirant de leur propre histoire. Ces porteurs (undermän désigne en suédois ceux qui portent les autres) ont un jour perdu leur voltigeuse qui était aussi leur amoureuse. Doublement endeuillés, fragilisés, ils ont fait entrer l’histoire vécue dans le chapiteau. "Tout s’est passé très vite, explique Strandberg. Un des gars a perdu sa partenaire et ça a déclenché l’idée de faire un show avec deux autres camarades qui avaient vécu la même chose. Nous avons beaucoup réfléchi à ce changement de statut: quand tu as une grande carrière, une vie placée, solide, et que tu quittes tout pour une vie à laquelle tu n’es pas préparé. En perdant leur partenaire, ils ont perdu leur vie amoureuse et professionnelle. Il ne leur restait plus rien. J’ai voulu comprendre comment continuer à faire ce que tu aimes sans en être capable. J’aime beaucoup ce point de départ."
Créé dans l’urgence à partir du vide, de la perte et de la douleur de la séparation, Undermän a pris ancrage dans l’histoire réelle de ces acrobates et musiciens qui exécutent des jeux de portés, se supportent, s’échangent confidences et instruments de musique, s’aident les uns les autres, exhibent leur fragilité et déconstruisent certains stéréotypes masculins. "Les Finlandais pensent que les Suédois montrent beaucoup leurs émotions et ne sont pas très mâles, précise Strandberg, mais si on vient d’ailleurs en Europe, on pense que les Suédois sont stricts et très mâles. Les normes dépendent d’où l’on vient, mais c’est un des points de départ du show: les trois hommes sont très physiques et, d’une certaine façon, vraiment mâles, mais ils admettent aussi leur vulnérabilité et leur douleur. Ils montrent l’autre côté d’eux-mêmes."
À contre-courant des traditions circassiennes où les artistes laissent généralement peu voir leur intériorité, dissimulée derrière l’exploit physique, la compagnie Cirkus Cirkör (alliance de cirque et de coeur) mise sur la dimension humaine et personnelle du spectacle. "Faire du cirque, c’est être Superman, montrer une image parfaite aux spectateurs qu’ils ne pourront jamais atteindre, mais quand ils perdent quelque chose, ils deviennent des êtres humains comme nous, avec leurs erreurs et leurs échecs."
Les trois interprètes (Mattias Andersson, Peter Aberg et Matias Salmenaho, auxquels se joint l’homme-orchestre Andreas Tengblad) offrent le spectacle comme un cadeau au public, explique Strandberg, qui insiste sur l’importance de l’honnêteté de leur démarche. "C’est une nouvelle façon de revenir au cirque, explique-t-il. Avant, on manquait de spectaculaire et le cirque nous le donnait, alors qu’aujourd’hui, les images parfaites sont partout et on veut avoir la vraie vie sur scène parce qu’on ne l’a plus dans la vie." Drôle de renversement pour ce nouveau genre de cirque humain et documentaire qui ne se prend pas trop au sérieux sans négliger le travail acrobatique. "Il faut de l’humour pour jouer avec les images et montrer le spectaculaire et le stéréotype masculin, puis les déconstruire. C’est un jeu." Nouveaux clichés pour de nouveaux héros.