Annie Darisse et Dominique Leclerc : Le confort et l'intolérance
Scène

Annie Darisse et Dominique Leclerc : Le confort et l’intolérance

Pour leur quatrième production, Les Biches pensives, Annie Darisse et Dominique Leclerc, proposent Comment je suis devenue touriste, une comédie mordante sur le militant, un être qui n’est pas toujours aussi vertueux qu’on le croit.

D’abord il y a l’éveil vers 20 ans. Autant pour la cause que pour l’effet grisant du combat, on milite les yeux fermés. Puis, avec l’âge arrivent les responsabilités, les acquis et la désillusion. L’engagement en prend souvent pour son rhume. C’est de ce schéma que s’inspire la trajectoire de Daïquiri, alias Alexandra, l’héroïne imaginée par Jean-Philippe Lehoux dans la nouvelle comédie de fin d’été des Biches pensives, qui incarne les deux faces d’une femme d’abord militante, puis avachie dans le confort de son divan. "Daïquiri représente le présent léthargique, explique Annie Darisse. La femme qui a abdiqué, jusqu’à ce qu’elle reçoive la visite d’Alexandra, le souvenir de la militante qu’elle était un an auparavant. Elle attendait à l’aéroport un gars qui n’est pas venu, et se trouvant pathétique, elle décide de transformer ça en cause sociale." La petite fille à papa, en voyage en Floride, se change en terroriste patentée et part en guerre contre les touristes. "Elle décide de saccager des installations touristiques, poursuit Dominique Leclerc. Elle se trouve une cause et se prend même un témoin, comme quoi elle ne le fait pas juste pour elle."

Par ce portrait d’une femme déchirée entre deux eaux, la passivité extrême et le militantisme exacerbé, la pièce traite d’une difficile quête de sens pour une jeunesse désorientée. Comme pour leurs précédentes pièces, Les Biches pensives cherchent à cerner les contours de la vie des trentenaires. "C’est une génération qui se cherche tellement qu’elle se trouve souvent dans les extrêmes, croit Darisse. Je parle souvent du confort du jugement, parce qu’on se trouve et s’affirme souvent quand on juge. L’autre versant serait de s’engager non par altruisme mais pour une recherche de sens personnel. On ne s’habitue pas à ce que nos vies n’aient pas de sens." "On ridiculise autant celle qui reste sur son divan que la militante que j’ai pu être, qui essaie de convaincre les gens les dents serrées", ajoute Leclerc.

Le luxe de l’engagement

L’héroïne choisit donc de militer parce qu’elle en a le loisir, touriste malgré elle, comme tous ceux qui ont le choix d’embrasser une cause comme on visite un pays. "Elle sabote le voyage de certains touristes, mais d’un autre côté, elle autosabote son histoire d’amour", poursuit Darisse. À force de rejeter la façon dont les gens cherchent leur bonheur, elle-même échappe au sien selon une vieille logique de violence retournée contre soi.

À l’affût d’écritures nouvelles, aimant s’impliquer et discuter avec les auteurs de sujets qui les concernent, Les Biches ont recruté Jean-Philippe Lehoux qui signe sa première pièce en résidence à La Licorne. "L’actualité de la pièce est un gros hasard, parce qu’elle a été écrite avant les événements du printemps, mais on questionnait déjà le militantisme, on s’inquiétait de perdre notre goût pour l’engagement dans la trentaine", explique Leclerc. "On passe sa vingtaine à se constituer une pensée, mais conserver son intégrité devient difficile quand on sort dans le monde, ajoute Darisse. On n’est pas des théories vivantes!"

Les actrices et idéatrices de ce théâtre de fin d’été ont fait leur signature avec une théâtralité du quotidien encore une fois assumée ici dans la mise en scène de Michel-Maxime Legault. Depuis leur première pièce présentée il y a quatre ans sur la terrasse de la Cinémathèque, Les Biches ont profité de l’engouement général pour ce théâtre qui fait la transition entre la comédie d’été et la saison régulière pour en faire leur marque de commerce. "C’est une période où les gens ne sont pas gavés de théâtre et on a une volonté de donner au comique une portée réflexive, explique Darisse. La comédie est parfois difficile à faire valoir dans les institutions." Pourtant, quoi de mieux que le rire pour décaper le vernis d’une pensée conformiste et de comportements sociaux qui, sous le couvert de la vertu, peuvent cacher de mauvaises intentions. Entre le confort et l’intolérance, les jeunes sauront-ils trouver une niche?

Du 20 août au 7 septembre
À La Petite Licorne