Grain(s) : Théâtre génétiquement modifié
Grain(s), la version française de Seed(s), la pièce documentaire d’Annabel Soutar sur le procès du fermier de Saskatchewan contre la compagnie Monsanto, nous arrive après des années d’évolution. Chris Abraham en signe la mise en scène.
Annabel Soutar travaille depuis 10 ans sur cette pièce inspirée par la longue bataille juridique menée par le fermier Percy Schmeiser contre la firme de biotechnologie Monsanto, qui l’accusa d’avoir planté illégalement des grains de canola génétiquement modifiés. Ce dernier prétend que son champ a été contaminé par des germes disséminés par accident. Depuis sa première création en 2005, Seed(s) a connu de nombreuses modifications. "J’ai commencé la recherche en 2002, mais c’est au procès de la Cour suprême en 2004 que j’ai su qu’il fallait faire une pièce avec ça, explique Soutar. J’ai découvert que les gens impliqués dans l’histoire avaient des opinions vraiment polarisées sur le sujet. Quand je suis allée en Saskatchewan, j’ai appris que le fermier n’était peut-être pas juste un innocent. J’ai voulu refaire la pièce, parce que ce qu’on a montré dans les médias était vraiment juste la surface de l’affaire."
Soutar décide de réécrire la pièce et demande au metteur en scène de Toronto Chris Abraham de l’aider à rendre compte de la complexité du débat public. "C’est devenu une histoire non pas seulement sur Monsanto, mais sur la recherche de la vérité et sur pourquoi les êtres humains ont de la misère à gérer cette complexité dans leur vie", poursuit l’auteure. Cofondatrice de Porte parole, la compagnie derrière les pièces Novembre, Import/export et Sexy béton, la dramaturge a eu le coup de foudre pour le théâtre documentaire dans les années 1990. "Le théâtre rend les problématiques idéologiques plus humaines. Contrairement au film documentaire, il ne prétend pas être réel. On sait que c’est joué par des acteurs. On crée un moment qui donne une clé pour que le spectateur puisse mieux vivre sa relation avec la réalité."
Dans la nouvelle version de la pièce, l’alter ego de l’auteure s’est ajouté, suivant le conseil de Chris Abraham. "En mettant l’auteure comme sujet au centre de la pièce, on suit la construction de sa pensée et de l’éthique, explique le metteur en scène. On s’est beaucoup questionnés sur notre responsabilité comme artistes, parce qu’il y a des questions morales autour de l’utilisation de la vie réelle dans des projets d’art. La seule chose qui est vraie dans la pièce, ce sont les mots que les gens ont dits, parce qu’il y a toujours de l’invention et de la transformation quand on utilise des faits. Il faut être transparent. J’aime les pièces documentaires qui restent claires sur le fait qu’elles jouent avec la vérité en fabriquant des fictions, des mythologies." Le texte a été écrit à partir de la transcription du procès et de verbatim d’entrevues, mais les acteurs assument qu’ils jouent et utilisent l’humour et des interventions dans le public pour rendre plus accessibles les thèmes abordés, plutôt denses, de justice et de génétique.
En suivant le parcours de l’auteure, ses questionnements et ses doutes, la pièce montre l’influence qu’ont les autres sur notre propre opinion, un peu à la manière des molécules qui modifient leur composition au contact d’autres molécules. Cette métaphore donne à la seconde version de la pièce une nouvelle dimension. "La pièce traite de modification génétique et a été modifiée plusieurs fois en cours de route, explique Soutar. Une autre couche de modifications s’est ajoutée avec la traduction." La version française, signée Fanny Britt, compte dans sa distribution des acteurs francophones, mais l’auteure a choisi de garder quatre acteurs anglophones, pour conserver un petit goût du Canada anglais. L’auteure espère que les francophones pourront mieux saisir toutes les subtilités de cette oeuvre ambitieuse, présentée au dernier FTA en version anglaise.
Du 4 au 22 septembre
À La Licorne