Étienne Lepage : Amoureux ni chastes ni purs
Avec Robin et Marion, Étienne Lepage redessine les jeux de l’amour galant dans un chassé-croisé hasardeux entre quatre jeunes entraînés malgré eux vers une pente dangereuse.
Après le succès de L’enclos de l’éléphant, Étienne Lepage quitte l’univers névrotique et paranoïaque pour une forêt désenchantée où l’amour défaillant mène le bal. Il retrouve pourtant le monde onirique sans références temporelles ou géographiques de L’enclos avec cette fable où des adolescents se traquent dans la forêt. « On n’est pas tout à fait dans la modernité, explique l’auteur. On est dans le conte, dans une sorte de passé, une campagne brute, à distance du reste du monde. J’ai une attirance pour le conte et ses possibles, qui permettent de décharger la situation de la lecture du présent qu’ont les gens. Dans L’enclos, il y avait une ambiguïté qui faisait que ça devenait allégorique. Dans Robin et Marion, au contraire, tout est clair. Les personnages disent tout de suite ce qu’ils veulent, mais les événements sont hors de leur contrôle. »
Librement inspirée d’une pièce médiévale, la nouvelle création d’Étienne Lepage est un conte amoureux où les règles traditionnelles de l’amour galant se détraquent et mettent les amoureux en péril par leur propre inconstance puisqu’ils dévient sans cesse de leur trajectoire. « J’avais envie de trahir le conte d’amour où deux individus s’aiment de façon chaste et pure et se retrouvent à la fin. Qu’est-ce qui arrive si la fille qui se fait kidnapper tombe amoureuse de son kidnappeur et si le gars qui s’est fait voler sa blonde s’en va chercher quelqu’un d’autre, si les amoureux finissent par se retrouver, mais par dépit? Au lieu que leurs sentiments soient forts et constants, j’avais envie qu’ils soient explosifs et changeants. Les personnages sont passionnés et graves, prêts à tuer quand ils veulent quelque chose, mais aussi insupportablement légers parce qu’ils oublient tout, comme des animaux. »
Les jeux d’amour deviennent jeux de hasard et d’inconscience, menés par des êtres qui ne sont ni libres ni maîtres d’eux-mêmes, en proie à une force extérieure qui les régit. Pour expliquer ces êtres projetés dans la vie malgré eux, Lepage parle de « dévalement ». « J’aime l’idée que ces êtres puissent avoir toutes sortes de volontés ou de désirs, mais que ça ne change pas grand-chose. Il y a une force qui agit. Il y a beaucoup de répétitions, d’extraits qui sont repris d’un personnage à l’autre et qui donnent une impression que les mots ne leur appartiennent pas en propre, comme si quelque chose parlait à travers eux. »
Cette force n’est pas nommée, mais renvoie à l’idée d’interchangeabilité des gens, à une absence de destin prédéfini ou d’individualité toute-puissante, un peu comme dans le vaudeville où les êtres sont les pions d’un grand manège qui les dépasse. « Dans mon travail, l’absurdité de la vie se traduit par des procédés comiques, mais pas pour faire rire. Je crois qu’il y a des endroits dans la pièce où les gens vont rire, mais il y a en dessous un côté insensé du monde, une absurdité riche, qui crée tous les possibles. Rien n’est annihilé ou détruit. La grande sagesse de la comédie ou du rire, c’est de se trouver une posture dans un monde qui n’en a pas. »
La mise en scène de ce conte d’amour tordu a été confiée à Catherine Vidal, avec qui Lepage a développé une complicité de longue date. Ils se sont beaucoup parlé, mais l’auteur n’est pas trop intervenu dans ses choix. « C’est un texte qui demande de mettre les quatre comédiens sur la même longueur d’onde. Il y a quelque chose de très délicat et elle a besoin de beaucoup d’intimité avec eux. » Lepage laisse donc l’équipe dessiner sa fable sur scène et perd, à son tour, les commandes de ses personnages.