Philippe Soldevila / Québec-Barcelona : L’autre et le même
Le Théâtre Périscope lance sa saison avec Québec-Barcelona, dans une mise en scène de Philippe Soldevila. Le Québec et l’Espagne, oui, mais surtout le trait d’union.
Québec-Barcelona raconte l’histoire de deux cousines éloignées qui échangent leurs maisons. Elles se croisent au-dessus de l’Atlantique et se retrouvent chacune avec l’ami ou le conjoint de l’autre, dans un univers complètement nouveau, l’une sur les traces d’un membre de sa famille en Catalogne, l’autre submergée par une crise humaine et professionnelle. "Il ne lui reste plus qu’à aller le plus loin possible, et ça, c’est ici", précise Philippe Soldevila, né de parents espagnols débarqués au Québec dans les années 50. "Pour les Catalans, le Québec, c’est… loin. Beaucoup plus loin que New York! Dans leur mythologie, c’est les ours, les espaces verts, le froid et la neige, des clichés avec lesquels le texte joue."
La différence apparaît au coeur de la démarche de Soldevila, mais aussi du Théâtre Sortie de secours qu’il dirige depuis 1989. Cet intérêt se mesure au plaisir apparent qu’a le metteur en scène à diriger une troupe mi-catalane (Alma Alonso Peironcely et Victor Alvaro Gomez) mi-québécoise (Éva Daigle et Normand Bissonnette), dans laquelle se mélangent le français et l’espagnol aussi bien que le catalan. "Par contraste, la rencontre avec l’étranger nous révèle à nous-même. On se dit alors: "Je viens d’Amérique du Nord, je parle français, nous ne sommes pas beaucoup…" En connexion avec l’étranger, on en apprend sur l’autre, mais on apprend aussi qu’on n’est pas comme l’autre et, par ricochet, on gagne une distance par rapport à soi-même. C’est pour ça qu’on aime voyager, et que cela est nécessaire."
Les événements de l’actualité récente – et moins récente – rappellent, si besoin était, la pertinence du questionnement qui anime le projet Québec-Barcelona. "À la limite, l’espèce de paranoïa collective autour des accommodements raisonnables comporte quelque chose d’extrêmement positif. On n’a jamais été aussi obligés de se définir comme Québécois que depuis que le monde a eu peur tout d’un coup."
Coproduction Espagne-Québec
La pièce, qui sera jouée d’abord chez nous, ensuite à Barcelone et Gérone, vient du désir séculaire de Soldevila de travailler en coproduction avec l’Espagne. "Des fois, je me demande si c’est pas une sorte d’affirmation…"
L’élément manquant à son projet, il l’a finalement trouvé en la personne de Mercè Sarrias, dont il avait monté en 2010 le texte À la défense des moustiques albinos, et à laquelle il a confié l’écriture de la pièce, qui interrogera l’exotisme et les idéaux, mais aussi les illusions qui nous animent. "En tant qu’êtres humains, on a une capacité de créer et de croire en ce qui n’existe pas, ce qui fait notre force et notre richesse comme êtres humains, mais de plus en plus, on l’évacue. On se transforme en consommateurs, point."
Dans un Québec qui peine à se définir ou même à chercher à le faire, la pièce risque de trouver certaines résonnances. "On a jeté le bébé avec l’eau du bain. On ne veut plus rien savoir de la religion, bien; mais qu’est-ce qu’on fait avec notre capacité de sublimation, qu’est-ce qu’on fait avec notre spiritualité et notre désir d’appartenir à quelque chose de plus grand?"
Sur cette lancée, on a envie d’ajouter la question suivante, devant le récit que s’apprête à nous livrer Soldevila: à quoi sert-il d’écrire des histoires? "Ma réponse, c’est que la vie est un immense chaos, un grand n’importe quoi; c’est nous qui décidons de prendre une brique et de construire une histoire qui fait sens. Pour ma part, je fais partie d’un récit qui est celui de l’immigration… De belles histoires comme celles-là font que tu peux te raccrocher à quelque chose. Ça, c’est la partie de l’identité que je trouve forte et utile; mais c’est sûr que quand on n’est pas capable de se rattacher à quelque chose, là, on est perdu."
Du 25 septembre au 13 octobre
Au Périscope