Loui Mauffette : Éloge de l’enfance
Une simple table et une poignée de textes imprimés sur des feuilles volantes suffisent à transformer Loui Mauffette en enfant émerveillé. Appelons ça la magie Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent.
"Les poètes sont des dauphins que l’on voit / par temps clair au large s’esbattant. Ils sont énormes, / mais leurs jeux sont d’enfants", écrivait en 1989 Guy Mauffette dans son recueil Le soir qui penche. Le mythique animateur de radio préfigurait d’une certaine manière l’esprit des "stoneries poétiques" qu’organiserait plusieurs années plus tard son fils, Loui Mauffette, afin de remonter le long fil le reliant à la table de cuisine familiale, lieu de tous les émerveillements. "Moi, j’avais congelé mon enfance, j’avais fait une croix là-dessus", se souvient le grand manitou de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, spectacle-rituel lors duquel une intempérante bonne vingtaine de grandes figures du théâtre québécois (Anne-Marie Cadieux, René Richard Cyr, Jean-François Casabonne), de vedettes du petit écran (Julie Le Breton, Maxime Denommée, aussi collaborateur à la direction artistique, Fanny Mallette) et de chanteurs populaires (Yann Perreau, Betty Bonifassi) donnent corps chaque année depuis 2006 aux illuminations d’Arthur Rimbaud, Claude Gauvreau, Patrice Desbiens ou Marina Tsvetaïeva dans un dépouillement scénographique (une table) inversement proportionnel à la démesure d’un homme qui, tant qu’à embrasser, préfère embrasser large, embrasser goulûment.
"J’ai lu un des textes de mon père lors de ses funérailles et c’est là que toutes les images de mon enfance sont remontées", poursuit celui qui, à la ville, porte le veston d’attaché de presse du TNM. "Il fallait que je fasse quelque chose. J’ai donc imaginé la table de mon enfance pour théâtraliser la poésie. Je suis parti de ma jeunesse à Vaudreuil-Dorion, de la table du repas où les sept enfants mangeaient, de la table de la cérémonie où ma mère recevait les amis artistes de mon père. Évidemment, j’ai exagéré en imaginant une table de 24 places."
Mauffette n’avait pourtant rien d’un exégète des grands textes de la poésie universelle – le comédien de formation répétera à plusieurs reprises au cours de la discussion ne pas appartenir à l’intelligentsia et avoir conçu sa grand-messe pour les multitudes. "J’avais un père poète, mais je ne m’étais jamais intéressé à la poésie avant, je trouvais ça phony, avoue-t-il. Ça m’ennuyait parce que je ne comprenais pas, je trouvais ça cérébral. À 55 ans, je commence à comprendre un peu plus parce que j’ai des amis qui m’ont apporté des textes à tomber par terre. J’ai redécouvert Marguerite Duras. Je pensais que c’était pour les snobs avant que Patricia Nolin ne me fasse lire La soupe aux poireaux. C’est en apparence une recette de soupe, mais si on écoute bien, c’est une recette de vie."
Malgré les mutations qu’aura connues ce spectacle traversé par un désir d’apprivoiser la mort au gré des changements de distribution et des angoisses de Mauffette, qui remanie son enchaînement chaque année, le maestro se sera toujours fait un point d’honneur de mettre de l’avant la poésie québécoise contemporaine, celle de Tony Tremblay, de Jean-Sébastien Larouche ou de Geneviève Desrosiers, dont l’unique recueil, Nombreux seront nos ennemis, publié à titre posthume, demeure tristement méconnu. "Geneviève Desrosiers, c’est ma muse. Elle parle de la mort et cherche Dieu dans presque tous ses poèmes, c’est assez désespéré, mais la forme est légère. Geneviève Desrosiers, pour moi, c’est comme la joie de goûter la première neige lorsqu’elle tombe sur notre langue."
Le plus beau souvenir qu’auront cuisiné Mauffette et compagnie autour de la grande table? "Je vais dire quelque chose de complètement quétaine et d’assumé: le plus beau moment, c’est toujours d’embrasser les spectateurs à la fin du spectacle. On arrive avec du jus, de la vodka, des sandwichs, des fruits qu’on mange tous ensemble. Il y a un réel partage, ce n’est pas artificiel. C’est comme une noce, c’est comme un baptême, c’est comme une communion."
Du 3 au 6 octobre
Au Théâtre du CNA