Stéphane Demers : Le dernier sous-sol
Scène

Stéphane Demers : Le dernier sous-sol

Que reste-t-il lorsque l’Homme, débarrassé de son ego, cesse de lutter? Dans la comédie noire Les dishwasheurs de Morris Panych, des laveurs de vaisselle acceptent leur sort d’hommes invisibles à la surface du monde. Entretien avec Stéphane Demers qui a adapté la pièce pour Momentum.

Deux intentions ont motivé Stéphane Demers à adapter la pièce Les dishwasheurs: faire connaître au public québécois le dramaturge canadien-anglais Morris Panych – qui l’avait dirigé dans Waiting for Godot à Vancouver en 2006 – et réunir sur scène Stéphane Crête et François Papineau, aussi membres de la compagnie de théâtre Momentum. Deux ans plus tard que prévu, le projet se concrétise.

"Probablement que le spectacle n’aurait pas eu la même ampleur, la même maturité en 2010. Depuis, il y a eu la chute des marchés boursiers, la lutte étudiante… Stéphane et François m’ont confié qu’ils avaient constaté qu’ils étaient rendus ailleurs, comme acteurs et comme êtres humains", raconte le metteur en scène qui voulait mettre en lumière la chimie scénique flagrante des deux comédiens.

Dans Les dishwasheurs, un courtier en affaires immobilières en banqueroute (Crête) se retrouve au sous-sol d’un restaurant huppé où il était client. Il se joint à un trio de plongeurs d’expérience qui ont depuis longtemps accepté leur statut et en tirent même une fierté. "L’homme d’affaires n’est pas du tout habilité à faire ce travail manuel difficile, mal considéré, mais pourtant essentiel. Son système de valeurs est confronté à celui de ces hommes qui semblent avoir choisi d’être là", mentionne Stéphane Demers qui a fait de la plonge dans sa jeunesse.

"Les choses ne sont pas aussi tranchées qu’on le croit. J’ai connu des hommes qui disaient ne pas pouvoir survivre deux semaines à ce job et qui étaient encore là trois ans après. Il y a une espèce d’engrenage dans ce milieu-là aussi", observe celui qui s’était déjà intéressé à la thématique de la lutte des classes sociales dans sa pièce The International Montreal Sus-aux-pauvres Rally (1999).

Avec philosophie et un humour caustique trempé dans l’absurde, Morris Panych pousse la réflexion plus loin en abordant l’après-lutte des classes. "On est comme dans un no man’s land, pense Stéphane Demers. On a goûté à ce que pouvait vouloir dire avoir de meilleures conditions de travail, un meilleur statut, mais il y a ce vent conservateur d’individualisme et d’efficacité qui semble vouloir tout balayer sur son passage. Habituellement, ces moments dans l’histoire précèdent de grands changements dans l’organisation des sociétés. J’ai l’impression que nous sommes à l’aube d’un renouveau. On a étiré l’élastique au maximum."

Pour cette production, Momentum renoue avec la tradition de ses débuts d’un théâtre in situ. La plonge ingrate des Dishwasheurs sera campée dans le béton et les poutres d’acier d’un ancien atelier de réparation ferroviaire de la fin du 19e siècle, aujourd’hui reconverti en galerie d’art.

Jusqu’au 20 octobre
Aux Ateliers Jean-Brillant