Ce moment-là : Un meurtrier parmi nous
Scène

Ce moment-là : Un meurtrier parmi nous

Une famille haute en couleur nous fait rire et trembler dans Ce moment-là, une pièce qui frappe fort et juste.

Denis Bernard a le don de dénicher des textes percutants avec le Théâtre de La Manufacture, fouillant souvent du côté de l’Europe anglophone et de dramaturgies contemporaines qui éclairent la société depuis des perspectives intimes. Avec Ce moment-là (Moment) de l’Irlandaise Deirdre Kinahan, jouée pour la première fois à Montréal, le metteur en scène a mis la main sur un vrai petit bijou du genre, drôle et diablement bien construit. À partir d’une famille ordinaire qui ressemble à tant d’autres, l’auteure interroge le rapport si complexe que nous avons avec les criminels, surtout quand il s’agit d’un frère ou d’un fils, explorant plusieurs variations de la résilience.

La pièce démarre à fond de train avec un portrait de famille truculent. La mère et les deux soeurs ne peuvent cacher leur nervosité à l’annonce du retour de Nial, le frère qui s’est absenté longtemps, se retranchant chacune dans leur refuge (hyperactivité, isolement, feinte), dissimulant mal l’extrême malaise que ce retour provoque chez elles. Le fils et sa nouvelle femme seront reçus dans une joie excessive, une grande fête où chacun en ajoute pour alléger l’atmosphère, la plombant plutôt d’hypocrites sourires et d’un fardeau de non-dits. Quand le fantôme sera finalement déterré, toutes les failles seront alors mises au grand jour, révélant une famille détruite par le meurtre du fils qui s’est rapiécée comme elle a pu, mais dont les coutures craquent et laissent voir la fragilité du pardon, à la base d’une possible reconstruction.

Criants de vérité, les personnages de ce drame réaliste et bouleversant sont tous très bien défendus par la brillante distribution d’acteurs fort bien dirigés par Bernard, ainsi que par l’habile traduction de Maryse Warda. Alice Pascual est excellente en soeur hyperactive et Louise Laparé, parfaite en mère anéantie qui porte honteusement l’amour de son enfant, mais c’est à la charismatique Émilie Bibeau que revient la palme pour sa remarquable performance en soeur butée qui refuse l’hypocrisie et déchire le voile du mensonge. Le duel entre elle et son frère (Patrick Hivon) est éblouissant. D’abord comique et colorée, cette famille apparemment banale devient tragique et nous fait voyager dans les extrêmes de son vaste éventail d’émotions, des triviales conversations de cuisine jusqu’aux plus troublants aveux.

Jusqu’au 10 novembre
Au Théâtre La Licorne