Les femmes savantes : Molière en Vespa
Créées cet été au château de Grignan dans la Drôme provençale, Les femmes savantes sont livrées avec clarté et rigueur dans la première mise en scène de Molière signée Denis Marleau.
En parachutant Les femmes savantes dans les années 1950, Denis Marleau crée un pertinent parallèle entre la préciosité du 17e siècle et le mouvement d’émancipation des femmes du 20e siècle sans dénaturer la pièce, prouvant aussi que Molière ne s’avère pas incompatible avec le travail d’UBU, malgré son penchant connu pour le répertoire d’avant-garde et les dramaturgies complexes et denses. La musicalité du vers moliéresque trouve dans l’attentive écoute portée au texte, à la langue et au rythme chez Marleau une parfaite livraison, maîtrisée et fluide, de toute la distribution qui rend justice à la beauté complexe de la versification de l’auteur.
L’alexandrin bien enfilé, on entre facilement dans ces Femmes savantes vêtues à la mode des années 1950 et on apprécie que le discours de ces femmes qui cherchent la liberté à travers la philosophie ou la libération de leur corps fasse écho à celui des femmes plus proches de nous. Molière pique certes la pédanterie des savantes et les fait manger dans la main d’un poète imposteur, mais il critique surtout les excès de la préciosité, ridiculise le snobisme intellectuel et les fats, faisant avant tout apparaître des femmes qui accèdent à l’éducation, choisissent de se marier ou pas et prennent le pouvoir (Philaminte mène son faible mari par le bout du nez). Les hommes à leurs côtés ont certes plus de bon sens qu’Armande (Noémie Godin-Vigneau), éprise de philosophie au point de refuser tout commerce du corps, Bélise (Sylvie Léonard), assujettie à d’aberrantes lubies, ou Philaminte (Christiane Pasquier), dictatrice piégée par un ridicule poète patenté, mais ils sont aussi plus prévisibles et figés dans leurs positions que leurs interlocutrices, complexes, ambiguës et déchirées entre le conservatisme et le progrès, qui brillent malgré leur déraison.
Greffant à la satire un côté clownesque qui n’est pas sans rappeler l’esthétique ubuesque, avec deux valets acrobates, Marleau et sa complice Stéphanie Jasmin ont choisi une esthétique sobre et élégante, avec une discrète présence de la vidéo, un côté bouffon, avec la délicieuse caricature de Trissotin débarquant en Vespa, poseur maniéré et risible interprété par l’irrésistible Carl Béchard, ou le Chrysale d’Henri Chassé, bon vivant ramolli et dominé par sa femme, mais restent classiques dans leur facture. Avec son légendaire charisme, Christiane Pasquier nous magnétise et assure à la pièce une dimension plus profonde et pénétrante. Au final, on est dans du théâtre d’acteurs éloigné des explorations technologiques de la compagnie UBU, mais la musique de Molière y trouve un excellent ambassadeur.
Jusqu’au 27 octobre
Au TNM