Olivier Choinière / Nom de domaine : Le jeu de la réparation
Insatiable défricheur de nouveaux territoires dramaturgiques, Olivier Choinière explore avec Nom de domaine la structure du jeu vidéo qui, contre toute attente, sert de remède à une famille endeuillée.
Après avoir exploré la chanson comme moyen d’endoctrinement dans Chante avec moi, on pourrait croire que Choinière jette maintenant son dévolu sur la technologie, qui occupe une place prépondérante dans nos vies. L’argument de sa nouvelle pièce concerne en effet une famille chamboulée par la mort d’un enfant, qui retrouve la communication brisée par le drame dans un jeu vidéo ancré dans le Québec rural des années 1920. Mais Choinière ne verse jamais dans la facilité. Plutôt que d’accuser la présence massive d’Internet dans nos sociétés, l’auteur et metteur en scène creuse le phénomène des mondes virtuels en les faisant venir sur la scène du théâtre, ce lieu privilégié qui redonne au public une prise sur sa vie.
"Je n’ai pas tant voulu écrire une pièce sur le phénomène des gens qui fuient dans un autre monde que sur la nécessité dans nos vies, socialement et politiquement, de retourner dans le passé, explique Choinière. Face à un avenir et un présent complexes, compliqués, incertains et plutôt sombres, il y a une tentation de revenir en arrière parce qu’il y a eu des réponses qui ont été prouvées par l’histoire. Même si ça peut paraître archaïque ou même rétrograde, il y a une tentation de retourner en arrière."
Ce thème sera d’ailleurs au coeur d’une autre de ses créations (Mommy), présentée cet hiver aux Écuries, mais ici, le jeu exploité par la famille se nomme "La Belle Époque" et on y retrouve les moeurs et coutumes de ce bon vieux temps où la famille était unie et le bonheur, simple. Or le jeu, apparemment éducatif, s’avère plus violent que ce qu’il annonce. Les parents croient d’abord à un jeu pornographique, mais les fantasmes de leur fils sont tout autres. "Le jeu fait appel à un système de punition pervers et violent, comme si des concepteurs avaient pris Aurore, l’enfant martyre et l’avaient fait en jeu vidéo. L’adolescent tripe sur ce jeu qui parle de religion, de bonnes et de mauvaises actions, de devoir et de respect des règles. Sa vie est sens dessus dessous depuis la mort de sa petite soeur et il trouve dans le jeu un cadre qui lui manque. Ça lui permet d’exulter et d’aller réparer quelque chose, de reprendre sa place."
Pour nous faire vivre ce voyage virtuel dans le Québec d’antan, Choinière introduit une structure dramaturgique fort originale où les acteurs sur scène prennent le public à témoin et le transforment en joueurs. "Nous sommes les personnages d’un jeu et les acteurs sur scène sont des intermédiaires qui nous permettent d’avoir accès à ces avatars. Le texte induit l’idée qu’on serait responsables de ce qui se passe sur scène. La famille va nommer des choses dans le jeu qui sont innommables dans la réalité, utilisant le public pour entrer en communication. Le seul endroit où ils peuvent se parler franchement, c’est dans le jeu. Le "domaine" évoque un espace flou qui fait écho au deuil. Les endeuillés sont dans un non-lieu qui pour moi est la scène, le théâtre." Encore une fois, Choinière utilise la scène pour mieux comprendre le réel, interroger notre société, notre psyché moderne, et nous surprendre en chemin.
Du 16 octobre au 10 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous