Nom de domaine : Le passé ressuscité
Olivier Choinière dialogue avec nos ancêtres dans Nom de domaine, un portrait de famille chargé et inventif où s’entrechoquent passé et présent.
À côté de ses dernières créations (Chante avec moi, Projet blanc), Nom de domaine peut paraître sage, mais Olivier Choinière surprend encore avec cette improbable rencontre entre Le temps d’une paix, Aurore, l’enfant martyre et l’univers des jeux vidéo. On y suit le cheminement inhabituel d’une famille en deuil qui soulage son drame avec un jeu éducatif ancré dans le Québec rural des années 1920. Dans ce village où le curé prêche à ses paroissiens, la Mère, le Père et le Fils sont invités à comptabiliser les vices et les vertus pour accomplir leur devoir et gagner des points. Les parents comprennent que leur fils trouve un cadre moral et une famille plus unie que la leur dans ce monde virtuel, mais découvrent aussi la perversion qui consiste à éduquer le "petit monstre" à la dure, une enfant espiègle qui les confronte à celle qu’ils ont perdue (et dont le spectre réapparaît à répétition) et qui doit être battue à mort pour les faire accéder à la rédemption.
Tordue et paradoxale, la proposition ravive notre inconscient collectif en remémorant les lois morales d’une autre époque certes rétrogrades, mais aussi claires et rassurantes. Le clan dévasté, d’abord isolé chacun dans sa solitude, parlant seulement à la deuxième personne, retrouve vie dans le monde parallèle qui lui sert d’exutoire et réanimera le dialogue. Les acteurs modulent avec brio le tissu narratif complexe où la distanciation cède tranquillement le pas à un "je" qui renaît par le biais de personnages virtuels. Malgré quelques accros au soir de la première, le jeune Jean-François Pronovost est particulièrement solide dans son rôle de Fils qui passe d’un froid détachement à une Mère des années 1920 au fort accent d’époque, tandis que l’excellent Stéphane Jacques fait un désopilant Père obsédé sexuel, et Dominique Leduc, une mère complètement désorientée. L’étonnante et magnifique scénographie de Jean Bard fait littéralement surgir le décor du sous-sol comme si le passé apparaissait en rêve avec son atmosphère solennelle et sinistre, accentuée par une ambiance sonore qui alterne entre les bruits de jeux vidéo, celui des pas amplifié au sol par des micros et le son des cloches, créant une atmosphère hors du temps où cohabitent passé, présent, réalité et fantasme.
Avec cette pièce dense qui joue d’ironie et nécessite une attention soutenue, l’auteur décortique les rouages de la nouvelle dynamique instaurée par la technologie qui ne tue pas la communication mais la transforme et influe sur la réalité, à l’instar du théâtre, serait-on tenté de dire. L’ère du numérique mute les relations humaines et les codes changent, mais le drame humain, magistralement dépeint ici, puise aux mêmes sources de la mort et de la violence.
Jusqu’au 10 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous