Dom Juan uncensored : Au pays de l’inconstance
Après l’éblouissant Caligula remix, Marc Beaupré poursuit la relecture de classiques avec Dom Juan uncensored. Une étourdissante déconstruction qui épouse l’esprit libertin.
Le metteur en scène Marc Beaupré aime les risques et s’en est offert un de taille avec sa relecture postmoderne du Dom Juan de Molière croisée avec le Don Giovanni de Mozart. Il rapatrie la pièce chez nos contemporains, mélange les époques, le réel, la fiction, y juxtapose les discours critiques et intègre Twitter qui permet de commenter la pièce en direct et de participer à l’évolution du mythe. L’idée est ingénieuse, ambitieuse, et peut-être plus forte en théorie qu’en pratique. L’exigeante proposition expose le spectateur à un flot désordonné de stimuli, de ruptures successives qui font passer d’un extrait de Molière ou de l’opéra de Mozart aux interventions des personnages, auxquels répondent les gazouillis des twitteurs qui finissent par déconcentrer. Le projet témoigne toutefois d’une brillante compréhension de la philosophie libertine, véritable poumon de la pièce.
Don Juan (transformé en jeune DJ effronté et insouciant) entre en scène accompagné d’une sténographe qui affiche ses déclarations par des tweets. "Paris, 1665". Il qualifie de médiocre la première de Dom Juan et se rabat en coulisse sur la femme de Molière. "Check!" Le héros ajoute ainsi les victimes à sa liste, profitant de Twitter pour mieux exercer son irrévérencieuse liberté et ajouter un commentaire à chacune de ses actions, comme tout bon contemporain branché. Les autres personnages prendront aussi d’assaut l’instrument pour revendiquer leurs volontés et participer au combat de nombrils qui se joue dans les médias sociaux. Le twitteur devient une sorte de Don Juan moderne, narcissique libéré élevant son discours au-dessus de la mêlée pour sa propre jouissance. Le procédé est intéressant, mais le dispositif scénique s’avère un peu lourd et les constants décrochages nuisent à la fluidité. Les passages tragiques joués par Elvire (Geneviève Boivin-Roussy) et la mère de Don Juan (Marie-France Marcotte) détonnent du jeu relâché de Don Juan (David Giguère) ou des débordements festifs de Sganarelle (Iannicko N’Doua).
Le morcèlement de la pièce étourdit donc, mais sert aussi sa poétique libertine qui reproduit le cycle infernal de la quête perpétuelle de Don Juan, ce mouvement d’ascension et de chute guidé par le désir qui est sa loi et contamine la structure de l’oeuvre. L’inconstance dangereuse du libertinage exige des sacrifices et confronte des paroles et des styles inconciliables qui s’élèvent, sans égard aux autres. La beauté du héros se révèle quand il dévoile sa fragilité et le bonheur d’avoir connu, ne serait-ce que le temps d’une étreinte, l’éternité.
Jusqu’au 10 novembre
À La Chapelle