Frédérick Gravel / Usually Beauty Fails : Éloge de la lucidité
Scène

Frédérick Gravel / Usually Beauty Fails : Éloge de la lucidité

Le rapport à la beauté et les défis de la rencontre humaine sont au coeur de Usually Beauty Fails, nouveau concert chorégraphique de Frédérick Gravel programmé par Danse Danse. Rencontre avec ce danseur-rockeur qui est aussi penseur.

Frédérick Gravel est l’un des pionniers de cette génération de chorégraphes qui veulent briser l’image élitiste de la danse contemporaine pour en élargir le public. Son truc: faire du spectacle une fête en emmenant son band sur scène et s’adresser au public entre deux tounes pour parler avec humour et intelligence de l’art et de la vie. Il est sympathique, la musique de ses shows est emballante et sa danse est des plus actuelles: physique, énergique et sensuelle. Ayant tout pour plaire, il s’affiche comme une étoile montante sur la scène internationale.

« Usually Beauty Fails tourne autour de l’idée de ce que je peux faire de beau en danse qui ne soit pas quétaine, too much ou larmoyant, explique-t-il. La recherche est encore de ne pas trop bercer les gens dans la séduction ou dans l’illusion. Ou alors, de le faire avec une connivence, de façon à ce qu’ils jouent eux-mêmes avec cette idée-là, qu’ils aient une plus grande lucidité par rapport au spectacle, ne se désengagent pas de ce qu’ils regardent. Je pousse d’ailleurs parfois la séduction pour qu’on finisse par s’en rendre compte. Tout ça est lié à ma réflexion sur le fait que pour être un bon citoyen, il faut travailler fort sur une vision lucide de soi-même, de ce qui nous constitue. Je trouve qu’il est très naïf de croire que notre identité est un choix, alors que c’est une construction. La comprendre, en comprendre une partie, c’est s’approcher de quelque chose qui serait, de manière utopique, la liberté. Et l’idée de faire des spectacles à numéros, c’est aussi pour qu’on ait toujours conscience d’être là et ne pas tomber dans un film. »

Cette formule permet de changer l’ordre des numéros à chaque représentation et de présenter chaque chorégraphie individuellement, comme on l’a vu au printemps dans Cabaret Gravel Cabaret. Cette structure en succession de vignettes composée sur le mode montée dramatique/climax/résolution est aussi un des ingrédients qui rendent les spectacles de Gravel faciles à aimer. Maturation aidant, il prend le risque d’insérer une séquence d’une trentaine de minutes dans le rythme trépidant du déroulement d’un concert pop.

« J’ai conscience que certaines choses ont besoin d’un peu plus de temps pour arriver, déclare-t-il. Cette section est traitée comme on fait de la granulation en musique avec un zoom in dans le temps de la musique: on étire une partie, on en raccourcit d’autres, pour transformer une chanson au point qu’on puisse la reconnaître encore vaguement sans plus comprendre ce qui se passe. Là, je joue un peu à me rapprocher d’un temps réel. Je travaille aussi beaucoup sur des regards très francs, le moins affectés possible, et je me rends compte de la difficulté de ne pas être dans la représentation, dans la projection. Le défi est de laisser les gens créer du sens, plutôt que de vouloir en créer nous-mêmes absolument. »

Sept artistes le relèveront avec lui: les musiciens Stéphane Boucher et Philippe Brault, et les danseurs Francis Ducharme, Kim de Jong, Brianna Lombardo, Frédéric Tavernini et Jamie Wright. Un moment très attendu.