Christine, la reine-garçon : La reine vierge
Avec pour premier sujet historique la célèbre et scandaleuse reine Christine de Suède, Michel Marc Bouchard n’a pourtant pas délaissé son goût pour les intrigues intimes et amoureuses avec Christine, la reine-garçon.
Les premiers dialogues laissent entendre une reine à la langue déliée, frondeuse et intempestive, en lutte contre les boulets que traînent son époque et son titre à ses yeux: le mariage, la guerre (plutôt que la paix qu’elle vante), l’austérité luthérienne et l’ignorance. La reine érudite souhaite sortir son peuple de l’obscurantisme par la culture, mais se heurte à la rigidité d’un pays sur lequel elle règne en déviante, avec pour seuls complices les philosophes. Michel Marc Boucharda trouvé chez cette souveraine marginale et ambiguë, qui n’aime ni les hommes ni les femmes, un personnage de choix pour mettre en place un drame conflictuel entre une soif de liberté et un régime oppressant, mais il a fait de l’idylle de la reine avec la comtesse Sparre le pivot central de sa pièce, laissant l’intrigue amoureuse prendre le dessus sur la dimension politique.
L’auteur a choisi de situer la pièce lors de la visite de Descartes, qui initie la reine à la notion du libre arbitre, lui inspirant sa longue marche vers la liberté, elle qui renoncera à sa famille, son royaume, sa foi et à l’amour. Céline Bonnier incarne avec fougue et conviction ce personnage contradictoire, contrarié, épris de vérité et d’authenticité dans une Suède obscure, mais on comprend mal comment elle peut s’attacher à la frivole comtesse (Magalie Lépine-Blondeau). Sa relation avec le vaniteux comte Johan (excellent Éric Bruneau), qu’elle considère comme son frère, mais qui tentera de la conquérir, est d’une ambiguïté beaucoup plus riche et intéressante. Les deux personnages jouent au diapason, dansant un même combat d’intelligence et de violence tordue. Descartes (Jean-François Casabonne) et la mère (Catherine Bégin) versent dans une caricature qui nous éloigne de la quête sincère de Christine. L’auteur a peut-être voulu ces contrastes, mais on reste avec une impression que les comédiens jouent souvent dans des registres dissonants.
La mise en scène de Serge Denoncourt donne au drame de Christine une rondeur élégante qui le rend peut-être plus sage et fluide que celui qu’on imaginerait pour une vie si baroque et chaotique, qui se termine ici sur un grand scandale de l’histoire des religions: celui de la conversion de la reine au catholicisme. Le royaume de Suède, auquel le décor très pictural de Guillaume Lord donne un air de froide galerie muséale, capitonnée de drapés noirs et blancs, cédera alors la place à une scène inondée de lumière où Christine, qui donne à l’Europe catholique la reine vierge qu’elle attendait, semble jouir pour la première fois, acquérant la liberté de n’obéir à personne, pas même à Dieu, à qui elle attribue le visage qu’elle a choisi. Symbolisant toute la puissance et l’étrangeté de ce parcours sans égal, cette scène finale clôt en beauté la pièce consacrée à une femme atypique, examinée davantage selon ses passions amoureuses que ses scandales politiques.
Jusqu’au 8 décembre
Au TNM