Philippe Ducros / Lapin blanc, lapin rouge : Pièce pour un absent
Philippe Ducros et Mani Soleymanlou montent le texte d’un auteur iranien interdit de séjour à l’étranger, Lapin blanc, lapin rouge, une pièce qu’un comédien différent chaque soir découvrira sur scène.
Le texte est joué partout à travers le monde, mais n’a jamais été monté en Iran. L’auteur, Nassim Soleimanpour, a réussi à faire voyager sa parole sans sortir de son pays, grâce à un projet théâtral tout à fait singulier, qui était tout destiné au globe-trotter Philippe Ducros, ce dernier poursuivant avec sa compagnie Hôtel-Motel une démarche d’ouverture aux autres cultures, aux enjeux politiques et identitaires qui font battre la planète, et nous renvoient aussi aux nôtres. "Pour moi, il y a une suite à La porte du non-retour, qui était une sorte de bilan où je me demandais ce que ça me faisait de rencontrer des gens en Palestine, en Bosnie, dans les camps de réfugiés, parce qu’on en revient un peu changé, explique celui qui a signé L’affiche, une pièce sur l’occupation de la Palestine. Lapin blanc, lapin rouge répond un peu à la même question, mais du point de vue de la prise de parole des artistes que j’ai rencontrés en Syrie, au Congo, en Libye, et qui vivent leur parole artistique d’une autre manière." Pour Mani Soleymanlou, qui joue, parallèlement à ce projet, son solo sur son statut d’Iranien en exil (Un), la question de la prise de parole de l’artiste prend aussi un sens particulièrement fort.
Ne pouvant quitter son pays parce qu’il n’a pas fait son service militaire, Soleimanpour utilise le théâtre pour transmettre sa parole et provoque une réflexion sur la liberté d’expression et la responsabilité de l’artiste. Il s’adresse à l’acteur et au public, et finit par occuper l’espace et le temps de la représentation. "Il y a un processus scénique qui met tout le monde en commun et souligne l’absence de l’auteur, qui devient l’acteur principal de la pièce, raconte Ducros. Le vertige de la prise de parole dans un pays comme l’Iran se traduit par celui de l’acteur qui découvre le texte en même temps que les spectateurs et qui plonge dans le vide."
Comme point de départ, une allégorie toute simple vient inscrire la pièce, traduite par Paul Lefebvre, à un niveau métaphorique. C’est l’histoire de cinq lapins affamés, dont un réussit à manger une carotte; celui-ci sera peint en rouge et attaqué par les autres, aspergés d’eau glacée en guise de punition. Ces derniers continueront à battre le lapin rouge, même une fois la punition et la gratification abolies, témoignant d’un endoctrinement aveugle. "Ça traite de l’intériorisation de la répression, explique Ducros. Comment on prend une répression qui est extérieure et on la fait nôtre, sans se poser de questions. L’allégorie parle autant du pays de l’auteur que de nous, d’une démocratie marchande liée à la répression et à la récompense. On vit dans un système qui impose des comportements malgré nous. La pièce parle du régime politique qu’on porte en soi, plus que du régime politique dans lequel on vit. Ça nous ramène à notre propre liberté d’expression et à ce qu’on en fait."
Trois acteurs québécois ont déjà vécu l’expérience Lapin blanc, lapin rouge, au OFFTA et au FAIT (Festival de théâtre de L’Assomption). Chaque fois, l’exercice a provoqué de vives émotions chez l’interprète. Reste à voir comment réagiront Olivier Kemeid, Sophie Cadieux, Alexis Martin et plusieurs autres. "On est allé chercher des acteurs typés dans leur parcours, pour pouvoir vivre une expérience différente chaque soir. Fabien Cloutier de la Beauce sera différent d’Amir Khadir, l’Iranien né en Iran, pour nous parler de ces choses-là", précise Ducros. Le nom du comédien sur scène reste secret, comme le processus scénique au coeur de ce projet éminemment intrigant.
Du 28 novembre au 15 décembre
À l’Espace libre