La danse de mort : Danse au bord de l’abîme
Gregory Hlady invite à une valse fantomatique et diablement bien orchestrée avec La danse de mort de Strindberg, menée par trois acteurs charismatiques.
En oiseau rare, Gregory Hlady poursuit un travail unique dans le paysage québécois, un théâtre expressionniste et baroque capable des plus surprenants contrastes, d’un humour slave décalé et festif à un esthétisme symboliste loin de la dominante réaliste. En croisant sa vision forte et assumée avec l’univers décadent du Suédois August Strindberg, le metteur en scène crée un objet fascinant.
Edgar (Denis Gravereaux) et Alice (Danielle Proulx) vivent isolés sur une île, rivés l’un à l’autre dans l’attente que la mort les délivre de leur liaison tyrannique. La visite de Kurt (Paul Ahmarani), le cousin d’Alice, débarqué d’Amérique, chamboule leur guerre intime. Contaminé par leur cruauté, le visiteur fera apparaître l’étrangeté du tableau de ce couple maudit, peut-être déjà mort (se nourrissant de terre), qu’il enlace dans une valse d’attirance et de répulsion, autodestructrice et sans trêve. Si le dialogue des personnages est crispé par la haine, la déception, l’angoisse de la mort et une manipulation perverse, les corps et les âmes font quant à eux un voyage aérien dans ce décor stylisé, cubique et d’une blanche pureté (superbe scénographie de Vladimir Kovalchuk) qui fait cohabiter le rêve et la réalité. Ce lieu métaphorique construit en tableaux et miroirs renvoie à l’univers mental des protagonistes, sorte de purgatoire, ou d’enfer surréaliste.
Chorégraphiée au quart de tour, jouant sur les ruptures et les contrastes, la pièce saute d’une scène réaliste à la Bergman à une plongée subite dans la vision terrifiée du personnage, figé dans une image déformée par l’émotion, dans une esthétique expressionniste où chaque geste et chaque mot porte un sous-texte, un symbole, évoque ce monde invisible qui se superpose au réel et l’enrichit. Ce jeu de dissonance en décrochages et en intensité trouve grâce chez les acteurs qui maîtrisent ces complexes acrobaties entre des mondes parallèles. Gravereaux est effrayant en monstre vampirique, terrorisé, puis tyran, et Ahmarani est d’une folle et désopilante souplesse. En femme hyène, chancelante et maléfique, Danielle Proulx, dont c’est le baptême avec le metteur en scène, entre avec assurance dans la proposition radicale de cette pièce à mille lieues d’un art formaté. Une superbe leçon de théâtre revigorante, ode à un imaginaire foisonnant.
Jusqu’au 15 décembre
Au Théâtre Prospero