L'obsession de la beauté : Miroir, miroir
Scène

L’obsession de la beauté : Miroir, miroir

Un faux pas de Greg à l’égard de sa douce lui vaudra l’implosion de sa banale quotidienneté. Tout est question d’image et de perceptions dans L’obsession de la beauté de l’Américain Neil LaBute, la très réussie première production de la compagnie LAB87.

Un miroir déformant réfléchit l’image des spectateurs prenant place dans La Petite Licorne. Avant de lâcher une vague déferlante de dialogues, les comédiens tournent autour de cet unique élément de décor, à la manière d’un carrousel désarticulé. Ainsi font, font, font les petites marionnettes…

Puis, le couperet s’abat. Dès la scène d’intro, ça gueule fort. Stéphanie (très solide Anne-Élisabeth Bossé) essaie de faire cracher le morceau à Greg (Mathieu Quesnel, d’un naturel déconcertant) quant à ce qu’il aurait affirmé dans son dos. Les échanges se corsent et le rythme s’accélère. Les invectives sont crues, souvent comiques. Très vite, on mesure le tempérament de la colérique Steph qui cherche constamment des analogies pour exprimer ses émotions, en opposition à Greg, un être sincère et mou. À l’entrepôt, Greg cherchera du réconfort auprès de son ami Fred (David Laurin), macho notoire, et affrontera la copine de celui-ci, la belle Amélie (Maude Giguère) qui est à l’origine du conflit.

L’obsession de la beauté raconte les rouages d’une rupture amoureuse qui aura un effet d’entraînement dévastateur. Les ex-amants croiseront à nouveau le fer, mais Greg n’arrivera pas à réparer la brèche qu’il a fait naître dans l’estime personnelle de sa douce… Aux tourments de Stéphanie, qui remet en question sa valeur et son pouvoir de séduction, se superposent ceux d’Amélie, qui souffre de sa beauté. Histoire banale? Certainement. Mais Neil LaBute a trempé sa plume dans le fiel de ses contemporains, invariablement coincés dans le carcan de la beauté et le culte de l’image facebookien. Sur ce plan, l’excellente traduction de David Laurin – aussi directeur artistique de LAB87 – lui rend totalement justice.

Minimaliste et efficace, la mise en scène de Frédéric Blanchette restreint les comédiens (tous excellents) à une scène étroite, collée sur les spectateurs. L’habile jeu de miroir fait parfois écho aux humeurs des personnages: les mains de Greg sont immenses alors qu’il fulmine, les épaules de Fred sont surdimensionnées, le corps de la belle Amélie se tord… Comme l’effet réfléchissant de ce miroir, tous ont une opinion faussée d’eux-mêmes et de leurs antagonistes.

En contrepoint aux joutes oratoires salées, chaque personnage livre un monologue intérieur. Greg ferme la marche en évoquant le tableau La toilette de Vénus de Velásquez, dans lequel Cupidon, désarmé, a les mains liées à un miroir au reflet flou. Sa contemplation le rend prisonnier.

Jusqu’au 14 décembre
À La Petite Licorne