Christiane Pasquier / Pour un oui ou pour un non : Amitié sous haute tension
La charismatique comédienne Christiane Pasquier passe pour une quatrième fois du côté de la mise en scène avec Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute. Une plongée à nu dans les dangereux labyrinthes de la parole.
Nathalie Sarraute, grande dame des lettres françaises et figure de proue du nouveau roman auquel elle fut surtout associée, a aussi écrit du théâtre tard dans sa vie. Christiane Pasquier a monté Elle est là à l’Espace Go en 2003 et plonge une seconde fois dans l’univers de l’écrivaine qui se penche ici sur la fragilité des rapports amicaux, observant les accrocs qui émergent de la conscience une fois le langage dépouillé de son vernis. «Sarraute s’intéresse à la sous-conversation, ou au prédialogue, à ce qui se passe pendant qu’à la surface, s’échangent les mots civilisés, explique l’actrice. En dessous se trouvent parfois des champs de bataille. Elle a utilisé la comparaison du gant retourné pour parler de cette quête menée pour faire reculer les frontières de l’indicible, sans céder à l’académisme des mots, des sens figés, aux façons qu’ont les gens de cataloguer pour se rassurer. Elle va toujours dans les fissures, les entre-deux. Pour elle, la réalité est toujours entre le vrai et le faux, dans la mouvance.»
Attentive à ces «innombrables petits crimes» que provoquent sur nous les paroles d’autrui, Sarraute n’a cessé dans son œuvre de scruter le non-dit. Dans Pour un oui ou pour un non, le duel engagé entre les deux amis (Marc Béland et Vincent Magnat, initiateur du projet avec le Théâtre Galiléo) prend donc sa source dans l’attention soudainement portée aux intentions cachées derrière les mots et qui peuvent briser une amitié. Sarraute, qui s’intéresse à ce qu’elle appelle les «tropismes», ces mouvements intérieurs presque imperceptibles dus à des causes extérieures, analyse ainsi la complexité de la relation à l’autre et les fossés qui se creusent dans le silence. «Certains la classent chez les intellectuels, mais Sarraute s’intéresse aux émotions brutes, défend Pasquier. Elle fouille dans la blessure qui peut survenir quand on porte attention au petit ton de mépris dans la voix de l’ami, et parle de la fragilité de nos rapports avec les autres, un sujet qui touche tout le monde. Sarraute se situe au niveau où on est tous semblables: aux abords de l’inconscient, et décrit notre besoin et notre incapacité de l’autre. Son œuvre porte sur ce mystère.»
Face aux deux amis qui prennent conscience de leur profonde incompatibilité à partir d’une remarque en apparence anodine, se trouvent deux voisins (François Trudel et Julie Saint-Pierre) qui viennent «témoigner de la normalité». La pièce, construite en engrenage, sera accompagnée d’images animées signées par l’artiste Thomas Corriveau, que Pasquier a découvert en voyant Jusqu’au silence de Sophie Corriveau. «J’y ai vu une parenté dans cette quête de Sarraute de trouver la chose juste à travers plusieurs traits, en lançant des lignes. Cette façon de douter, mais d’avancer toujours pour faire reculer la frontière de la vérité.» Observatrice assidue des mots déshabillés des conventions, Sarraute se devait de passer par le théâtre, lieu privilégié d’exploration de la parole.
Du 15 janvier au 9 février
Au Théâtre Prospero