Britannicus : Protagoras, Vaillancourt et cie
Sur fond de scandales politiques, le Britannicus de Jean-Philippe Joubert voit le jour et trouve un décor parfait. Pas souhaitable, mais parfait.
L’homme est la mesure de toute chose, et quelque idée d’un bien qui nous dépasserait n’est qu’une invention pour faire oublier que seuls existent les intérêts personnels. La scène médiatique 2012 tiendrait lieu de preuve, s’il en fallait une.
Et pourtant, on est pris par le sentiment que ce ne peut pas être que ça…
Cette hésitation, c’est le socle même sur lequel est bâti le Britannicus de Racine, que Jean-Philippe Joubert met en scène à la Bordée. «Quand tu as du pouvoir se pose rapidement la question de ce qu’est le bien commun, et de ce qui est du désir égoïste.»
Néron, empereur au pouvoir, mais âme envieuse de son beau-frère Britannicus, entrera par la voie de la jalousie dans les méandres nous éloignant du bien. La pièce se présente ainsi comme une étude de cas, une tentative de cerner les voies de perdition et leurs textures dans tout ce qu’elles ont d’humaines.
«Ce que Britannicus offre, et c’est ce qui m’intéressait énormément au début, c’est cette jonction entre la vie privée et la vie publique; au fond, les décisions publiques qui sont prises par Néron sont fortement – sinon totalement – influencées par sa vie privée, par ceux qui sont autour de lui et à qui il fait confiance – ou pas.»
Pour rendre son interrogation prégnante, Joubert a choisi de livrer une mise en scène la plus concrète possible, exposant une joute politique qui se ne déroule nulle part ailleurs que dans l’intimité de Néron, au seuil de sa porte de chambre: «C’est là que les décisions de l’État se prennent.»
Elles se prennent, mais, dans la Rome de Néron autant que dans les villes du Québec, on se demande COMMENT. On se demande même si les élites ont quoi que ce soit à gagner à investir dans le bien commun. «Qu’est-ce qu’on a à gagner? ponctue Joubert: cet extraordinaire sentiment d’accomplissement. Mais comme il est à long terme, il est nécessairement beaucoup plus diffus que cette satisfaction immédiate de consommer un désir aujourd’hui et maintenant.»
Ici, l’entrevue déborde: «C’est pourquoi ce genre de questions là s’inscrit particulièrement bien dans notre système politique démocratique aux mandats de quatre ans. Quatre ans, c’est court, c’est peu de temps pour faire le bien commun, léguer des choses à long terme; et donc la plupart des politiques se trouvent à satisfaire les besoins à court terme plutôt que de se préoccuper des sept générations suivantes.»
Mais en fait, c’est précisément ce même risque que court la pièce: déborder de la seule pièce.