Ventre : Dissection de l’amour
La pièce Ventre de Steve Gagnon scrute l’intimité d’un couple qui se relève d’une trahison et brandit l’amour comme acte de résistance. Du théâtre charnel et engagé.
Impudique et viscérale, l’analyse signée Steve Gagnon de la destruction amoureuse a quelque chose de scandaleux dans sa crue nudité, aussi excessive qu’une peine d’amour qui ne guérit pas. Elle (Marie-Soleil Dion) retourne vers son ancien amoureux (Steve Gagnon) après l’avoir trompé et découvre un homme tétanisé par la douleur au point de passer ses journées dans un bain glacé, tandis qu’elle exorcise la sienne par un flot verbal. Entamant un chant indigné, elle oppose leur amour à la bêtise sociale et au massacre programmé de tout sentiment élevé. Ses appels prennent parfois la forme de longues diatribes un peu trop appuyées contre le rassemblement télévisuel de L’Auberge du chien noir ou La Compagnie créole, par exemple, mais l’idée de revendiquer l’amour comme un bastion de résistance constitue une terre fertile pour décliner une gamme d’émotions fortes, à laquelle le duo d’acteurs totalement engagés dans leur jeu rend justice.
La langue volcanique de Steve Gagnon a beaucoup de panache et provoque des images-chocs qui explosent souvent dans la violence, mais font aussi appel à une vulnérabilité à fleur de peau. L’auteur mêle avec originalité les références populaires et un lyrisme inspiré, qui perd toutefois un peu de sa force dans l’accumulation d’images et d’associations libres parfois un peu lourdes. Les plus beaux moments demeurent ceux où la dimension charnelle reprend le dessus, tel que l’a désiré la femme qui commande la reprise du pouvoir par le corps. Tous deux nus comme des vers dans la baignoire, elle lui caresse le corps avec une eau sale, symbole éloquent du gâchis sexuel qui sera dit par lui avec une vulgarité qui renvoie à sa douleur. Les mains et le ventre deviennent un champ de bataille intime, un paysage à reconquérir pour retrouver la liberté. Proche du corps et des émotions brutes, la radiographie de l’amour de Gagnon touche à un niveau de sensibilité rarement atteint au théâtre.
On regrette par ailleurs la construction en longs monologues qui raréfie l’interaction entre les acteurs, mais lorsque leurs corps s’entrechoquent, l’émotion est d’autant plus forte qu’ils se sont longtemps cherchés dans l’espace avant de se retrouver. Denis Bernard a fait un très beau travail dans cette mise en scène tout en tension campée dans un décor apocalyptique très organique. Malgré quelques clichés, ce portrait tranchant d’un désastre amoureux parfois excessif, mais bouleversant, réjouit par son audace sensuelle totalement assumée qui convoque autant le laid que le plus doux, tout droit sortis de l’amour.