Le roi se meurt : Mourir ensemble
Scène

Le roi se meurt : Mourir ensemble

Frédéric Dubois fait une très belle entrée en scène au TNM avec Le roi se meurt, un Ionesco revigorant qui rend honneur à l’arrivée d’une jeune génération de metteurs en scène dans les grands théâtres montréalais.

En offrant le rôle du roi mourant à Benoît McGinnis, âgé comme lui de 35 ans, Frédéric Dubois adresse la pièce crépusculaire d’Ionesco à la jeunesse, la confrontant à sa propre finitude et à ses morts prématurées auxquelles répond celle d’un monde qui court à sa propre destruction. Sans changer le texte, limpide et terrifiant dans son écho amplifié par une superbe scénographie qui renvoie au spectateur son propre reflet, Dubois brandit un miroir dans lequel nous nous regardons tous mourir avec le roi, son royaume et le pays qu’il n’a pas su diriger, devenant les égoïstes narcissiques spectateurs de notre propre agonie. Les évocations du royaume en ruine, de l’impuissance des politiques contre la détérioration des terres asséchées, rétrécies, font frissonner les capitalistes que nous sommes en une chute vertigineuse en nous-mêmes.

Rappelons qu’Ionesco a écrit cette pièce pour apprivoiser la mort, comme ce roi Bérenger qui refuse d’abord d’accepter sa fin imminente, niant la fatalité pour finalement s’y résoudre, apprenant à se délester de ses illusions pour entrer au royaume d’Hadès. En abolissant le quatrième mur, Dubois inclut le spectateur dans cette quête d’une acceptation de la mort tout à fait pertinente, mais le choix de mêler une esthétique bédéesque à la tragique descente aux enfers de Bérenger crée un décalage qui disperse parfois l’attention plus qu’il ne la concentre. L’exubérance du jeu (parfois hystérique) et les costumes (Linda Brunelle), très kitsch, détonnent dans le climat apocalyptique de la pièce. Fidèle à son penchant pour un théâtre baroque, Dubois fait éclater les formes, avec les risques que cela comporte. La fantaisie prend parfois le dessus sur le tragique de l’œuvre spirituelle qui devient aussi un spectacle festif, une belle ode à la vie, un brin trop frivole.

La pièce est par ailleurs soutenue par une distribution de feu. Benoît McGinnis défend avec charisme ce roi insouciant qui se brise, accompagné d’une éblouissante reine Marguerite (Isabelle Vincent) et d’une reine Marie (Violette Chauveau) poupée  Barbie et tendrement protectrice. Patrice Dubois (parfaitement déconcertant en docteur froidement fataliste) et Kathleen Fortin (en servante) sont d’une constance sans faille, moins excessifs dans leur interprétation. Le choix d’un enfant (Émilien Néron) pour jouer le garde fonctionne moins bien, mais le tout est finement orchestré. Une prise de parole audacieuse et assumée, à l’image de Frédéric Dubois.