Anne-Marie Olivier / Scalpée : Voyage en Barbarie
Scène

Anne-Marie Olivier / Scalpée : Voyage en Barbarie

Rarement abordée au théâtre, la crise d’Oka sert de toile de fond à Scalpée, qui traite de mensonge identitaire et de meurtrissures. L’auteure et actrice Anne-Marie Olivier ouvre de vieilles blessures avec une tragédie forestière pour cœurs bien accrochés.

Dans la lignée de Mon corps deviendra froid (Quat’Sous, 2008), la nouvelle pièce de l’auteure de Gros et détail et d’Annette revisite le registre de la cruauté, interrogeant notre rapport aux autochtones et aux visages cachés de notre identité. Alors que la crise d’Oka semble étouffée sous une chape de silence, Anne-Marie Olivier a découvert qu’elle avait des ancêtres autochtones, ce qui lui a inspiré cette pièce sur la solitude des peuples et des individus. «Je trouve que depuis la crise d’Oka, notre opinion sur les autochtones s’est stigmatisée et que quelque chose s’est brisé, confie-t-elle. Le fait que ce soit un sujet dont on ne parle pas, un sujet qui pue, une vieille croûte, c’est là que ça m’intéresse. On a failli avoir une guerre civile et ça veut dire que ça pourrait arriver encore. C’est la prémisse de la pièce, traitée comme l’impact de ce qui n’est pas dit, de ce qui est caché, l’impact du mensonge.»

Le personnage de Charles part effectivement à la recherche de la vérité sur ses origines lorsqu’il découvre que son père est amérindien et toujours vivant, alors qu’il le croyait mort. Réfugié dans les jeux vidéo, il sera confronté à la vie sauvage en forêt, dépeçage d’orignal compris. Sa mère est gardienne de prison et s’est plutôt réfugiée dans l’alcool, «zombifiée» après avoir été victime d’une émeute en prison, un secret bien gardé. «J’ai vu plein de gens qui ne disaient pas les choses pendant plusieurs années et les ravages que ça faisait, poursuit Olivier, mais le mensonge est intéressant aussi par rapport aux différentes versions de l’histoire qu’on apprend ou pas. On s’est fait sauver le cul par les Amérindiens et on est à 90% des métis, mais on n’a jamais appris ça à l’école. C’est aliénant. Même les autochtones entre eux entretiennent une certaine forme de racisme, ajoute-t-elle. On est toujours le barbare de quelqu’un.»

Après son solo Annette, qui s’intéressait à notre lien identitaire avec le hockey, Olivier explore notre rapport à la nature dans cette pièce portée par une poésie brute et des dialogues très crus. «C’est un objet hérissé, pas lisse du tout. J’ai besoin de poésie comme une plante a besoin d’eau, mais en même temps, j’ai aussi besoin du rapport direct, plate, un peu néon de la vie», affirme-t-elle en contemplant cette pièce hybride qui trahit aussi son passé de conteuse, pièce tissée d’une langue orale vivante et concrète.

L’auteure, tout juste nommée directrice du Théâtre du Trident à Québec, dit avoir besoin d’un ancrage dans le réel pour écrire. Son Théâtre Bienvenue aux dames aborde des sujets de société sans être didactique. Avec Scalpée, elle s’est plongée dans l’univers carcéral pour raconter le viol sordide d’Élise. «Beaucoup de choses se passent dans les pénitenciers, mais s’il n’y a pas de morts, on n’en parle pas. Le récit de l’émeute est un mélange de récits réels. Ce qui m’intéressait, c’était de mettre face à face le gardien et les détenus: un animal face à l’autre.»

Dans les rapports de force comme les rapports amoureux, le lien se déchire dans cette pièce qui traite de la perte et de la dépression sous plusieurs formes. «Le titre m’est venu quand j’ai perdu quelqu’un précipitamment. Je me sentais comme si j’avais perdu un membre. Le scalp renvoie à la sensation d’une perte immédiate de courage, de force et d’identité. J’ai mis en scène trois personnages qui perdent quelque chose d’un seul coup.»

Pour Scalpée, Olivier s’est entourée d’acteurs-auteurs (Steve Gagnon et Édith Patenaude) et d’une metteure en scène-auteure (Véronique Côté) qui ont participé au processus d’écriture, «parce qu’on est plus intelligents à plusieurs». Une œuvre collective pour briser les solitudes.