Pour un oui ou pour un non : Guerre de sous-entendus
Christiane Pasquier visite les dédales du non-dit des relations humains avec Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, une pièce sur une rupture d’amitié causée par un excès de franchise.
L’invisible intéresse peu les contemporains, obnubilés par un monde qui les bombarde d’images et laisse peu de place à ce que Nathalie Sarraute appelait la sous-conversation, ces zones souterraines et rarement explorées de l’inconscient. Entre les mots prononcés se trouve pourtant un monde des profondeurs riche et complexe que l’écrivaine française et chef de file du nouveau roman a donné à voir. Dans Pour un oui ou pour un non, ce sont ces non-dits entre deux amis de longue date qui font exploser la relation. L’un (Vincent Magnat) a été blessé par le ton condescendant de l’autre (Marc Béland). Son «c’est biiiien ça!» avait quelque chose d’arrogant, mais en passant aux aveux, l’ami vexé fait exploser l’entente tacite des relations humaines qui veut qu’on ne s’attarde pas à tous les sous-entendus à peine perceptibles et subjectifs que les échanges comportent, à moins de vouloir vivre en perpétuelle remise en question.
De cet accroc jugé futile s’ouvre un champ de Mars plus profond et lourd qu’il n’y paraissait, les deux amis se livrant à un règlement de compte portant sur tous ces petits riens qui font douter de l’autre, sur cette jalousie honteuse, mais inévitable, sur chaque infime détail qui fait que l’amour ne peut jamais être pur, s’altérant automatiquement de mille petits irritants. Christiane Pasquier se révèle, avec cette quatrième mise en scène, une excellente directrice d’acteurs, les deux comédiens incarnant avec nuance et subtilité cette guerre intime parfois drôle, tachée d’ironie, mais aussi de tendresse. Leurs doubles animés, traits mouvants esquissés grossièrement par Thomas Corriveau, évoquent pertinemment leurs visages intérieurs aux multiples racines, fugitifs et non définitifs, ces humains en constant questionnement chers à Sarraute.
Qualifié parfois de bavard ou d’intellectuel, le théâtre de Sarraute prend ici tout son sens dans les silences parfaitement maîtrisés et les pointes d’humour qui en allègent la densité. La rhétorique complexe composée de dialogues hachurés demande une dextérité et une intelligence du jeu dont est doté le duo d’acteurs épatant, qui évolue sans temps mort dans cette pièce douce-amère, fine analyse psychologique que certains estimeront peut-être un peu masturbatoire, mais qui trouve assurément chez Vincent Magnat, qui a amorcé le projet avec le Théâtre Galiléo (Monsieur Malaussène au théâtre en 2006), et Christiane Pasquier de merveilleux ambassadeurs.