Christine, la reine-garçon : De petit roi à reine libre
Scène

Christine, la reine-garçon : De petit roi à reine libre

Avec Christine, la reine-garçon, Michel Marc Bouchard façonne pour la première fois une pièce autour d’un héros historique. Du parcours atypique de la reine de Suède, il a choisi un épisode marquant: la visite à la cour du philosophe français René Descartes alors que la souveraine, empêtrée dans le luthéranisme austère, se pose les questions de l’amour et du libre arbitre.

«Au début, je ne l’aimais pas», avoue Michel Marc Bouchard au sujet de la reine excessive qui bouleversa l’Europe du Nord au 17e siècle. «Et puis, j’avais un problème politique à écrire sur la royauté», poursuit-il. Le "petit roi" en lui l’a rattrapé. Il s’est soudain reconnu dans les paradoxes et les ambiguïtés de celle qui monta sur le trône à l’âge de sept ans.

En 2008, il accepte d’écrire le scénario du film Kristina of Sweden, réalisé par le Finlandais Mika Kaurismäki. L’auteur des Feluettes circonscrit sa lecture à dix biographies, comme autant d’avenues à la découverte de l’énigmatique garçonne: «Les biographes français sont dans le spectacle; les Allemands, dans la psychanalyse; les Américains et les Britanniques, dans la romance; alors que les Suédois sont encore aujourd’hui très critiques envers elle.»

Élevée comme un garçon, féministe avant l’heure, Christine de Suède suscite la grogne notamment par sa soif de connaissance, son amour des arts et lettres et sa promotion de la paix. Jamais le dramaturge n’a fait un travail aussi exhaustif sur un personnage. Après avoir écrit plusieurs versions du scénario, qui sera traduit en anglais, Michel Marc Bouchard trouve "sa" Christine. «J’ai pensé que le lesbianisme allait être le fer de lance, mais c’est dans son aspiration à changer son pays et elle-même que s’inscrit sa bataille. Christine de Suède se pose la question de la gouvernance, de ses propres aspirations vis-à-vis de celles de la nation. C’est une question qui se pose avec une grande acuité dans le Québec actuel», affirme le dramaturge.

Regrettant de perdre ce qu’il écrivait en français – il a inventé la moitié des jurons -, Michel Marc Bouchard décide d’explorer le grand lyrisme de son héroïne au théâtre. La pièce Christine, la reine-garçon naît dans sa propre cuisine où il invite l’actrice Céline Bonnier à faire quelques lectures. Le metteur en scène Serge Denoncourt se joint à eux. Puis, la bande s’élargit. Bientôt, le logis devient trop petit pour le projet.

Conte de fées en noir et blanc

Au moment de notre rencontre, Michel Marc Bouchard venait de voir un premier enchaînement au TNM à Montréal. «J’ai écrit un suspense, s’étonne-t-il. Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir écrit le film avant, mais c’est la première fois!»

La pièce se situe à l’hiver 1649 alors que la reine "laide et séduisante" subit des pressions de l’État pour se marier et enfanter. Avec son invité René Descartes (Jean-François Casabonne), elle tente de comprendre les sentiments qui l’assaillent en présence d’Ebba (Magalie Lépine-Blondeau), sa dame de compagnie. Le philosophe vient chambouler les croyances de la reine érudite en abordant notamment la notion de libre arbitre. «Descartes a été difficile à écrire. J’ai dû faire abstraction de tout et me le représenter avec simplicité et douceur. Lui aussi a sa petite intrigue puisqu’il est mort à la cour de Suède. J’émets l’hypothèse que ce n’était pas de cause naturelle.»

Pour traduire la rigidité luthérienne, mais aussi le climat nordique, Serge Denoncourt a privilégié une esthétique à la blancheur hivernale, en contraste avec le noir. «C’est une Suède un peu "trichée". À la Tim Burton. C’est très beau et sensuel», termine Michel Marc Bouchard.