Michel-Maxime Legault / Warwick : Requiem martial
Scène

Michel-Maxime Legault / Warwick : Requiem martial

Les guerres produisent leurs morts et leurs blessés répertoriés dans les bulletins de nouvelles, mais qu’en est-il des êtres derrière les chiffres? La pièce Warwick de Jean-Philippe Baril Guérard, mise en scène par Michel-Maxime Legault, trace le portrait humain derrière l’inventaire.

Warwick est un petit village près de Victoriaville, mais littéralement, le mot signifie aussi «ville de guerre». Entre la coke, le bar de danseuses et les matchs de hockey, ce coin perdu ne ressemble pourtant en rien à cet Afghanistan d’où revient Hubert, un soldat blessé qui a perdu l’usage de ses jambes et son ami au combat. Le seul ennemi contre lequel se bat la petite communauté qui accueille le militaire s’appelle l’ennui et n’a pas grand-chose à voir avec le conflit armé vécu par ce soldat perdu entre deux mondes. C’est de cet écart qu’il est question dans la pièce écrite par Jean-Philippe Baril Guérard, inspirée de l’histoire d’un Québécois de 23 ans blessé en Afghanistan. «Il avait perdu l’usage de son pied et avait donné une entrevue à la télé où il disait bien s’en remettre, explique le metteur en scène Michel-Maxime Legault. Puis, la journaliste annonçait qu’il s’était suicidé. Jean-Philippe est parti de cette histoire pour nous sensibiliser à un cas parmi d’autres. On énumère des morts au début et on les répète à la fin, avec une résonance différente parce qu’on les a humanisés.»

La pièce incluait une sorte de plaidoyer contre la guerre au départ, mais Legault a fait travailler l’auteur et les interprètes pour épurer le texte monté à l’origine comme un exercice pédagogique à l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe, et pour le concentrer sur l’expérience vécue par ces jeunes de Warwick. «J’ai demandé aux finissants de faire un laboratoire sur le texte pour créer des personnages plus proches d’eux et pour que ce soit une prise de parole au sein du groupe, et c’est devenu une sorte de création collective», poursuit le metteur en scène et comédien qui a monté, entre autres, Kick d’Étienne Lepage et Comment je suis devenue touriste avec Les Biches pensives.

Raccourcie et recentrée sur le décalage entre la petite communauté de Warwick et le soldat débarqué avec ses séquelles visibles et invisibles, la pièce interroge notre relation à la guerre qui nous est surtout transmise par les médias. «Il y a dans la pièce un écart entre le parler journalistique et celui des jeunes de la région, qui manquent de ressources et de préparation pour accueillir leur ami qui est revenu transformé. J’ai dirigé David Strasbourg (Hubert) surtout dans l’écoute. Il revient avec quelque chose de complètement décalé et brisé, mais il ne sait pas quoi. Ses amis créent des impairs et ça donne quelque chose de drôle, mais aussi de tragique.»

La pièce aborde les cas de suicide à la guerre, un terme tabou qui n’apparaît jamais sur les rapports. Les militaires signeraient entre eux des pactes pour revenir en un seul morceau ou ne pas revenir… Cela pose la question de la vie et des conditions de cette vie. On en vient à se demander qui des jeunes de Warwick ou du soldat paraplégique sont les plus vivants. Mais si l’existence de ces jeunes dépourvus d’éducation a son lot de trivialités, le metteur en scène n’a pas voulu la représenter dans une esthétique hyperréaliste. «Une des choses importantes en abordant ce texte était de le théâtraliser, précise Legault. Pour moi, il n’y a rien de pire que de sortir d’une pièce en disant que ce serait bon au cinéma ou en websérie. Le suicide ne sera pas représenté au premier degré. Je voulais qu’on sente l’histoire comme une tragédie. Il y a une largeur du jeu, sinon ça reste un téléroman.»

Loin de faire le procès d’une guerre qui ne fait pas l’unanimité, Warwick interroge les répercussions et les enjeux des conflits en croisant les regards des journalistes, des spectateurs, de la famille, des amis et des militaires, pour créer une pièce kaléidoscopique sur un mal et ses victimes.