Scalpée : Résurrection
Scène

Scalpée : Résurrection

Face cachée de notre identité, angle mort de notre amnésie collective, l’histoire de notre relation aux Amérindiens fait partie de ces sujets qu’on ne sait comment aborder. Anne-Marie Olivier le fait de manière frontale avec Scalpée, un poème touffu d’une charge furieuse.

Elle tombe à point, cette pièce qui déterre la crise d’Oka et la question amérindienne, en ces temps de révolte et de contestation autochtones, mais avant de plonger réellement dans ces sujets, l’auteure d’Annette et de Gros et détail nous propose quelques détours.

Trois écorchés vifs apparaissent en un défilé de scènes tirées du présent et du passé. Charles (Steve Gagnon) est réfugié dans les jeux vidéo pendant que sa mère cherche à l’envoyer de force à l’université. Elle est gardienne de prison et cache quelques secrets, dont celui d’un viol vécu lors d’une émeute de détenus, mais aussi celui de l’origine du père de Charles, un Mohawk. Il y a aussi Dorothée (Édith Patenaude), trompée par son chum, qui deviendra la maîtresse de Charles. Chacun campe ses blessures et ses douleurs déclinées en tableaux poétiques d’un lyrisme un peu exacerbé, accumulant les métaphores au point de brouiller parfois le sens, mais l’écriture foisonnante d’Anne-Marie Olivier fait aussi naître des images fulgurantes avec un franc-parler qui ne s’interdit aucun excès, ni dans la dérision ni dans la sauvagerie. On reconnaît d’ailleurs dans le souffle épique du texte, la recherche filiale et la présence du sang (qui gicle abondamment) une parenté avec le théâtre de Wajdi Mouawad, avec qui l’auteure et comédienne a travaillé.

Anne-Marie Olivier se démarque ici, actrice nuancée capable de tous les registres en mère zombifiée qui boit pour conjurer ses fantômes et aime son fils tout croche. Sa vulnérabilité fait peine à voir quand elle se retrouve attachée nue au plafond ou recevant le sang tombé du ciel sur une musique de Haendel qui donne à son destin funeste quelque chose de sacré. Si certaines scènes frappent l’imaginaire, comme celle du dépeçage d’original, sanglante rencontre entre la vie et la mort où Charles et Dorothée éviscèrent le corps mort tout en faisant l’amour, la mise en scène s’éparpille un peu et forme une courtepointe hétéroclite. Le choix de cette esthétique baroque signée Véronique Côté se justifie pour aborder le chaos de la perte et de la dépossession, comme celles vécues par une scalpée, mais le tout manque de cohérence pour convaincre complètement.

La pièce se clarifie cependant à mesure qu’elle se développe pour culminer en une finale inspirée qui rappelle le drame historique des Amérindiens avec lesquels on a coupé les ponts, comme cette mère qui a fui pendant la crise d’Oka et caché l’origine autochtone de son fils dont la vie s’est bâtie sur un mensonge. La désillusion de Charles quant à l’image qu’il s’était faite des Amérindiens, son face-à-face avec un père qui lui renvoie sa perte de contact avec la nature et la part sauvage de lui-même sont autant d’échos de notre histoire collective qui font de Scalpée une pièce pertinente et percutante. Bien qu’elle manque un peu de polissage, l’œuvre convoque son lot d’émotions brutes, sales et violentes, amenées avec une indomptable poésie qui réveille les morts et libère la bête folle qui couve en chacun de nous. Au final, on reste avec l’idée que ce n’est qu’en ressuscitant ce passé trouble qu’on pourra envisager une réconciliation.