Emmanuel Reichenbach / Sorel-Tracy : Quand la politique devient satire
Scène

Emmanuel Reichenbach / Sorel-Tracy : Quand la politique devient satire

L’auteur Emmanuel Reichenbach est de ceux qui se réjouissent de la commission Charbonneau. Sa pièce Sorel-Tracy porte sur la corruption municipale et son maire nous chante des airs connus. Heureuse coïncidence d’une politique qui se caricature elle-même.

Pendant que défilent les personnages d’un théâtre tout à fait réel devant une juge qui examine les stratagèmes de collusion et de corruption entre le milieu de la construction et les partis politiques, Emmanuel Reinchenbach en a fait sa matière d’inspiration pour une satire qui renvoie un miroir à peine grossissant de la réalité. L’écriture de Sorel-Tracy remonte pourtant à plus loin, aux sources de l’affaire. «Dès le début de notre résidence au Théâtre d’Aujourd’hui, on [Théâtre sans domicile fixe] voulait faire une satire politique, explique l’auteur. Après Pour en finir avec Shakespeare (2009) qui était une critique du pouvoir très caricaturale et éloignée de nous dans le temps, on voulait parler de la petite politique de campagne de mononcles sans classe et je suis tombé par hasard sur une journaliste de Radio-Canada qui m’a parlé de son travail d’enquête sur la politique municipale. Elle m’a dessiné sur des napperons de restaurant le schéma de la mécanique bien huilée de collusion entre les firmes de génie, les cabinets d’avocats, les élections clés en main et les financements, et je m’en suis nourri. La commission Charbonneau est arrivée après comme un heureux hasard!»

Depuis, les maires sont tombés comme des mouches et celui de Reichenbach, cupide et crapuleux jusqu’à l’os, et dont la vulgarité n’a d’égale que sa grossière vénalité, n’exige pas un grand effort d’imagination du public pour se le représenter. Les enveloppes brunes circulent allègrement et les manifestants des mouvements d’indignation sont tassés du revers de la main par le Bras Droit du maire qui les traite de «pouilleux qui restent dans le quartier des artistes». Le ton est à la farce et pourtant, nos élus municipaux ne sont pas loin. «J’ai entendu des histoires de maires qui dorment avec des pancartes électorales, qui couchent avec leur secrétaire et se ramassent dans des clubs de danseuses. Leur vulgarité dépasse la fiction.»

Tel un enfant hyperactif mégalomane qui règne sur ses électeurs comme un gamin avec ses «gros joujoux», le maire de Sorel-Tracy incarne, avec sa rhétorique politicienne calculée, son narcissisme et son immoralité, des fléaux qui dépassent notre époque mais la cristallisent aussi. «Le type du narcissique a toujours un bon capital de séduction, mais j’ai aussi compris que ça pouvait arranger la communauté d’affaires d’une petite ville que de se trouver un maire qui avait la bonne quantité de narcissisme pour faire figure de chef, mais serait aussi malléable et facile à corrompre», précise l’auteur qui avoue dans son mot d’introduction avoir été surpris d’apprendre que le trouble de la personnalité narcissique avait été retiré du manuel de référence utilisé par les professionnels de la santé mentale. La déclaration du Bras Droit comme quoi «la morale s’arrête souvent là où les intérêts individuels commencent» renvoie à un certain Machiavel qui ne date pas d’hier, mais ces mots résonnent plus tragiquement pour ceux qui assistent en direct à l’effondrement du système politique.

Le grand défi à surmonter pour l’auteur et le metteur en scène (Charles Dauphinais) était de ne pas reproduire ce qu’on voit fréquemment à la télévision, la politique étant un sujet privilégié par les sketchs d’humour du petit écran. Reichenbach évoque Mamet comme modèle, mais leur approche s’est surtout concentrée sur le côté villageois du pouvoir municipal d’ici. «Le metteur en scène et le scénographe ont créé un univers visuel qu’on peut retrouver chez les frères Coen, dans The Big Lebowski, avec une atmosphère de petit hôtel de ville cheap tout en contreplaqué. Ils sont aussi allés chercher du côté du look du maire Rob Ford de Toronto, avec ses complets un peu cheaps.» C’est l’excellent Guillaume Cyr qui aura le privilège d’incarner ce fameux maire plus vrai que nature… ou peut-être pas.