Regarde maman, je danse : Le mauvais genre
Loin du cliché du spectaculaire travelo fabriqué qui n’a plus rien de vrai, Vanessa Van Durme est d’une vérité déconcertante dans Regarde maman, je danse, un solo sur sa conversion d’homme en femme.
Opérée en 1975 pour devenir une femme, cette actrice d’origine belge qui a joué sa vie plus de 250 fois partout à travers le monde et qu’on avait pu voir déjà il y a quelques années à Montréal, ainsi que dans Gardenia au FTA en 2011, retrace son parcours d’homme né avec la certitude d’être une femme et d’avoir hérité du mauvais genre. Jouant sa naissance où elle aurait, dès la sortie du ventre de sa mère, demandé à y retourner pour qu’on lui donne son vagin oublié, la comédienne vient poser, au-delà de la seule question du changement de sexe, des questions troublantes sur la construction de l’identité sexuelle et sur ce désir d’être un autre.
Rarement abordées, ces questions sont habilement amenées sur scène par Vanessa Van Durme qui rectifie la croyance selon laquelle elles concerneraient le sexe. Ça se passe plutôt entre les deux oreilles, plaide-t-elle, racontant dans un dénuement proche de la confession la sensation portée depuis toujours d’avoir quelqu’un d’autre en soi, de ne pas trouver le synchronisme entre son corps et son esprit jusqu’à l’opération radicale. Dépassant la seule histoire de transsexualité, ce monologue empreint de sincérité et mis en scène par Frank Van Laecke traite donc plus largement d’aliénation et interpelle les femmes sur leur condition. L’ayant choisie, Van Durme vit la condition féminine du point de vue d’une volontaire qui a opté pour le sexe faible et qui en assume les aléas. On regrette certaines idées reçues sur la femme qui serait moins branchée sur le sexe, mais la complicité suscitée entre le transsexuel et les femmes crée une étrange et intéressante relation.
D’un humour impudique aux pointes d’ironie et d’autodérision bien maîtrisées, Van Durme habite seule la scène dans le plus grand dépouillement, pieds nus et vêtue d’une seule chemisette de nuit, se livrant avec émotion en personnifiant ses parents et autres personnages secondaires avec beaucoup d’aplomb. Du récit de l’enfance au tourment de l’adulte qui ne supporte plus ce pénis qu’elle porte «comme un demandeur d’asile», l’actrice raconte son opération menée à Casablanca en ne lésinant sur aucun détail de la fabrication du vagin, comparé entre autres à Ground Zero. Si les passages sur la lubrification de ce sexe artificiel font pisser de rire, l’émouvante prière devant un Dieu à qui elle demande d’être délivrée de cet autre qui vit en elle est bouleversante. Évitant le ridicule mais ne souscrivant à aucune censure, l’actrice réussit ce tour de maître de parler d’elle sans tomber dans la plate autobiographie. Son parcours atypique est certes loin d’être banal, mais c’est surtout l’humanité de cette femme qu’on sent véritablement déchirée par cette dysphonie de genre qui fait de ce solo théâtral une œuvre aussi riche et matière à réflexion.