Martine Beaulne / Les muses orphelines : Les muses réincarnées
Martine Beaulne ressuscite Les muses orphelines de Michel Marc Bouchard pour aborder le thème de l’abandon personnel, social et collectif.
C’est d’abord pour l’époque – le milieu des années 60 – que Martine Beaulne a eu envie de monter Les muses orphelines, pièce phare de Michel Marc Bouchard. Elle a repensé à Albertine, en cinq temps de Michel Tremblay, autre grand classique québécois auquel elle s’était mesurée en 1995 à l’Espace Go et qui avait fait l’objet d’une adaptation télévisuelle. «Cette période de l’histoire du Québec est douloureuse, sombre. Il y avait un ostracisme politique et religieux. À force de relire la pièce, je constate combien on a fait du chemin, mais aussi à quel point le retour de l’idéologie conservatrice m’effraie. Il ne faut pas retourner là», situe d’emblée la metteure en scène.
Première pièce d’un triptyque familial de Bouchard, Les muses orphelines explore le thème de l’absence de la mère. Par un subterfuge, la plus jeune des sœurs Tanguay, Isabelle, réunit ses sœurs et son frère à la maison familiale à Pâques. Parce qu’elle a appris la vérité sur leur mère, elle les force à avouer un mensonge éhonté qui dure depuis vingt ans. Une résurrection est annoncée. «À l’abandon personnel se superpose l’abandon collectif, social. Michel Marc a créé des personnages marginaux qui opèrent une désobéissance positive et parfois payante. La pièce est tellement bien écrite. Il n’y a pas un mot de trop!»
Jamais bien loin, l’auteur des Feluettes n’en était pas si convaincu: «Il a changé une seule réplique. Il voulait proposer des coupures, mais on lui a dit que ces passages étaient bons!» rigole Martine Beaulne, qui a recruté une distribution cinq étoiles pour incarner les aînés du clan Tanguay: Macha Limonchik, Nathalie Mallette et Maxime Denommée.
Pour jouer la jeune Isabelle, atteinte de déficience intellectuelle, la metteure en scène a jeté son dévolu sur Léane Labrèche-Dor, tout juste sortie de l’École nationale: «En audition au Quat’Sous, j’avais remarqué son jeu très personnel, sa grande maturité propre aux vieilles âmes. Son monde intérieur m’a séduite. Puis, elle avait une énergie commune avec Macha.»
Pour camper le décor campagnard du Lac-Saint-Jean où se retrouvent les quatre grands enfants, Beaulne s’est inspirée des glissements de terrain, de la décrépitude: «Il y a ce rapport entre des adultes restés petits dans leur corps et dans leurs blessures et l’immensité du drame familial. J’ai aussi voulu célébrer l’affranchissement, donc l’ouverture. Mêlée aux rêves espagnols de la mère, la musique d’orgue vient évoquer la religion, mais de façon contemporaine», résume Martine Beaulne.