Olivier Choinière / Mommy : Québec zombie
Scène

Olivier Choinière / Mommy : Québec zombie

Toujours aussi improbable dans ses propositions, l’auteur et metteur en scène Olivier Choinière monte sur les planches dans la peau d’une momie, grand-mère de tous les Québécois qui ressuscite les icônes d’un passé mythifié en rappant! Machine à nostalgie, Mommy propose un rap politique en forme de conte de fées.

Après l’extraordinaire Chante avec moi (2010), Olivier Choinière revient à la chanson, mais dans sa version hip-hop, récupérant divers matériaux (chansons, discours politiques, publicités et autres extraits sonores tirés du passé) pour faire vibrer la fibre nostalgique du spectateur. Poursuivant une réflexion amorcée l’automne dernier, avec Nom de domaine, sur l’attachement acharné au passé, ce statu quo qui empêche la société d’avancer, l’auteur a sorti un vieux personnage qui dormait dans son placard. «Ce personnage de morte-vivante très à droite existe depuis longtemps, mais les événements du printemps dernier ont exacerbé sa colère envers la jeunesse, ironise-t-il. Mommy est une vieille grand-mère de 400 ans qui prétend être la mère de toutes les mères, qui meurt seule et abandonnée, mais sa dépouille est humiliée alors elle revient à la vie pour se venger. Même si tout autour d’elle lui crie qu’elle est morte, elle décide de continuer à vivre. Elle tue des gens qui vont devenir une famille de morts-vivants, sorte de famille Plouffe, mais ce n’est jamais de sa faute parce que Mommy est dans le déni. C’est une victime absolue. Et comme la jeunesse est trop ignare et inculte pour comprendre un français normal, elle utilise le rap pour lui brasser la cage.»

S’adressant de front aux jeunes, cette Mommy pour qui le Québec d’avant 1959 est un âge d’or absolu rappelle, certes, un virus qui touche certaines classes de la société québécoise et un gouvernement conservateur accro au passé, mais chez Choinière, les choses ne sont jamais unidimensionnelles. «C’est à la fois le portrait de générations de vieux qui pensent détenir l’idée de la jeunesse, de vieux et de jeunes atteints d’une certaine mort-vivance, toujours en train de relire le passé à la loupe du présent et de le regretter, mais ça fait aussi état d’un Québec qui, politiquement, socialement et culturellement, a de la misère à entrevoir un avenir ou un horizon autre que celui d’il y a 40, 50 ou 100 ans.» Choinière assure que le spectacle est «un gros fuck you jouissif à la droite conservatrice», mais que cette nostalgie répond aussi au mouvement effréné vers l’avant de notre société. «On jette tout très vite et on est toujours à la recherche de la nouvelle technologie, mais on ne trouve pas grand-chose en fait de nouvelle vision du monde. Même le fait que je fasse ce show de récupération interroge l’idée de ce que serait véritablement une nouvelle forme.»

La nostalgie de Mommy n’est donc pas un fléau n’appartenant qu’aux vieux, mais une posture qui renvoie à notre identité traversée de multiples discours, d’une intertextualité parfois confuse. Le spectacle se présente d’ailleurs comme un jeu de masques sans fin qui convoque la Fée Clochette, Walt Disney, Sinatra, Candy, René Lévesque, de Gaulle, Jean Charest, Jésus… «On récupère des discours pour leur faire dire parfois le contraire avec des montages croisés. Ce qu’on reçoit de Mommy, c’est un kaléidoscope de toutes sortes de sources et de références.» Ce grand mélange renvoie à une difficulté à se voir dans l’avenir. Choinière évoque l’idée du pays défendue par la génération de ses parents et qui place «l’horizon derrière nous plutôt que devant nous», mais admet son ambivalence devant un passé auquel il rend aussi hommage dans le show. «Ça parle de ma propre nostalgie, avoue-t-il. Le hip-hop, pour moi, c’est ma vingtaine, ces premiers groupes que j’écoutais avant et qui étaient tellement mieux, plus théâtraux, plus politisés. Les morts-vivants sont aussi directement issus de ma jeunesse, des années 1980. Mommy est pour moi une grosse machine à produire de la nostalgie. On entend une chanson et on embarque.»

Dans une mise en scène cosignée avec Alexia Bürger, Mommy est construite sur la récupération de genres et de formes populaires, suivant la démarche déjà amorcée par Choinière avec ses précédentes pièces. À la fois conte de fées et show de rap inspiré du film de zombies, sa nouvelle création a plus à voir avec le show de musique qu’avec la pièce de théâtre, précise-t-il. «Quand on a essayé de faire du théâtre, ça ne marchait pas. Il y a quelque chose de frontal et de mis à plat», défend celui qui a décidé de sortir son personnage de MC et d’incarner lui-même cette parole révoltée, récupération de toutes ces voix qui nous constituent collectivement et qui seront transmises par les comédiens Stéphane Crête, Guillermina Kerwin, Jean-François Nadeau, Fanny Rainville, Guillaume Tremblay et DJ Naes, qui mixera live sur scène.

À noter

Du 5 au 9 mars, les Écuries présentent Bliss, version anglaise de la pièce Félicité d’Olivier Choinière, traduite par la Britannique Caryl Churchill dans une production qui mêle des comédiens et des concepteurs francophones et anglophones. La pièce, présentée à La Licorne en 2007, faisait un portrait grotesque de la fascination du public et des médias pour le vedettariat et le fait divers sordide. La version anglaise donne à cette odyssée hallucinée des accents de concert pop, promet-on.